Quelle est l’importance de la psychanalyse dans l’enseignement de la psychologie dans les universités françaises ? Afin de répondre à cette question de la manière la plus objective possible, un premier article a examiné la place de la psychanalyse 1) au sein de la section 16 (psychologie) du Conseil National des Universités ; 2) parmi les demandes de qualification au poste de Maître de conférences examinées par la section 16 ; 3) parmi les postes d’enseignants-chercheurs ouverts dans les universités françaises en 2020.

Dans ce deuxième article, nous poursuivons cette tâche en examinant cette fois les mentions de master proposées par ces universités, et plus précisément en analysant la place de la psychanalyse dans les maquettes de ces masters.

Méthode

Nous avons pris pour base de ce travail le Panorama national des Masters 2 en Psychologie 2018 publié par l’Association des Enseignants-chercheurs en Psychologie des Universités, qui est la liste la plus complète et la plus à jour de toutes les mentions et parcours de master en psychologie en France.

Nous avons ensuite examiné les maquettes de chaque master disponibles sur internet, et coté, pour chaque parcours :

  • Quelle(s) sous-discipline de la psychologie était enseignée(s).
  • Quelle(s) orientation(s) de la psychologie clinique était enseignée(s).

Critères appliqués sur les orientations :

  • Une orientation a été cochée uniquement quand l’enseignement en question était obligatoire (ou qu’il y avait un choix, mais entre 2 options faisant appel à la même orientation), ou que de nombreuses options étaient liées à cette approche. Un simple module optionnel n’a pas conduit à cocher une orientation.
  • L’orientation Psychanalyse a été cochée quand il était mention de psychanalyse / psychodynamique / Freud / Lacan / tests projectifs / concepts psychanalytiques (transfert, Oedipe, stades psychosexuels…).

Ce travail de cotation a été effectué par Thomas Chazelle, Marine Teyssou Mathieu, et une équipe de bénévoles de l’Association pour la Psychologie Scientifique à l’Université. Les résultats, ainsi que les statistiques associées, sont accessibles dans un fichier partagé en ligne, afin de pouvoir être examinés par tous. En effet, cette cotation est préliminaire et n’est pas infaillible. Elle a été faite sur la base des informations publiquement disponibles sur internet. Mais certaines maquettes de master détaillent très peu le contenu de leurs enseignements, rendant la cotation imprécise, voire impossible au-delà de l’intitulé du parcours.

Nous appelons donc les enseignants-chercheurs et les étudiants en psychologie à nous donner des retours sur cette cotation. Si vous considérez que la cotation d’un master que vous connaissez n’est pas correcte, merci de nous en informer par email adressé à masters@psychologiescientifique.org, en joignant les documents pertinents à l’appui. Après vérification des suggestions reçues jusqu’à la fin de l’année 2020, nous corrigerons la cotation, et nous publierons une mise à jour des statistiques de cet article sur la base des données corrigées.

Résultats

La première analyse (Figure 1) montre la répartition des parcours entre les différentes sous-disciplines de la psychologie.

Figure 1. Nombre de parcours par sous-discipline de la psychologie. PTO : psychologie du travail et des organisations.[1]

Ainsi, on constate que 99 parcours de master concernent la psychologie clinique et la psychopathologie (sur un total de 205 parcours). Un même parcours peut couvrir plusieurs sous-disciplines ; la somme des barres est donc supérieure à 205 ; elle est égale à 384, montrant que la plupart des parcours couvrent plus d’une sous-discipline.

Dans une deuxième analyse, nous avons compté, pour chaque parcours dans chaque sous discipline, lesquels faisaient référence à la psychanalyse (Figure 2).

Figure 2. Taux de pénétration de la psychanalyse, par sous-discipline.

Sans surprise, c’est en psychologie clinique que la psychanalyse est la plus représentée, étant présente dans 60% des parcours. Mais on constate qu’elle est également très présente dans d’autres sous-disciplines, notamment la psychologie de la santé (45%), la psychologie du développement et de l’éducation (36%), ou encore la psychologie sociale (29%).[2]

Nous nous sommes ensuite focalisés sur la psychologie clinique, en analysant les orientations enseignées dans les différents parcours de psychologie clinique (Figure 3). Selon cette analyse, 60% des parcours de psychologie clinique enseignent la psychanalyse, 30% enseignent les TCC, 19% enseignent les thérapies systémiques. Bien que nous n’ayons initialement pas inclus la neuropsychologie parmi les orientations cliniques, l’examen des maquettes a suggéré qu’il serait pertinent de le faire ici, la neuropsychologie étant à la fois une sous-discipline de la psychologie, et une approche clinique (11% des parcours de psychologie clinique la mentionnaient).

Figure 3. Répartition des orientations enseignées en psychologie clinique. TCC : thérapies cognitives et comportementales. [3]

Un même parcours pouvant enseigner plusieurs orientations, la somme des pourcentages dépasse 100. Dans le graphique ci-dessus, le choix a été fait de ramener ces pourcentages à une proportion, pour donner une estimation grossière de la place relative de chaque orientation au sein de la psychologie clinique en général.

Ayant remarqué que certains parcours enseignant la psychanalyse comportaient de très grands effectifs d’étudiants, il nous a paru judicieux d’en tenir compte, en refaisant cette analyse pondérée par les effectifs de M2 de chaque parcours (Figure 4).

Figure 4. Répartition des orientations enseignées en psychologie clinique, pondérée par le nombre d’étudiants en M2 dans chaque parcours.

Cette analyse montre qu’effectivement les parcours enseignant la psychanalyse ont des effectifs légèrement plus grands que la moyenne, augmentant ainsi encore l’impact relatif de la psychanalyse. Au total 62% des étudiants en psychologie clinique reçoivent un enseignement de psychanalyse.

Enfin, nous nous sommes demandés dans quelle mesure chaque orientation clinique était enseignée conjointement avec d’autres (Figure 5).

Figure 5. Nombre moyen d’autres orientations enseignées dans un parcours enseignant une orientation donnée.

Cette analyse montre que dans les parcours enseignant la psychanalyse, on y enseigne en moyenne 0,73 autre approche. A l’inverse, les thérapies systémiques sont enseignées conjointement avec 2,1 autres approches, et les TCC avec en moyenne 1,27 autres approches. Les autres orientations étant très faiblement représentées, elles sont systématiquement enseignées dans des parcours mêlant plusieurs orientations.

Conclusions

La psychanalyse est fortement présente dans les masters de psychologie français. C’est l’approche dominante (60%) dans les parcours de psychologie clinique, mais elle est également fortement représentée dans les parcours de psychologie de la santé (45%), de psychologie du développement et de l’éducation (36%), et de psychologie sociale (29%).

Au sein des parcours de psychologie clinique, la psychanalyse occupe 2 fois plus de place que les TCC, et 3 fois plus de place que les thérapies systémiques. Les autres approches ne sont représentées que de manière marginale.

Enfin, la psychanalyse est l’approche qui est le plus souvent enseignée de manière exclusive, et le moins souvent enseignée conjointement avec d’autres orientations.

Ce travail de cotation confirme également le manque de transparence d’un bon nombre d’universités vis-à-vis des approches qui sont enseignées dans leurs formations. Les maquettes, pourtant censées présenter les parcours, manquent souvent d’informations essentielles sur leur contenu. Ce manque de transparence peut empêcher les étudiants de s’orienter dans le parcours qui leur paraît le plus pertinent. Au niveau méthodologique, cela restreint aussi la portée de nos résultats, certains masters ne pouvant être identifiés comme relevant d’une approche plutôt que d’une autre. C’est une des limites de ce travail.

Une telle analyse n’ayant jamais été réalisée auparavant, il est impossible d’estimer la tendance par rapport au passé. Les prochaines mises à jour de cette analyse permettront de suivre les évolutions futures.


[1] Dans la catégories Autres (8 parcours), on trouve notamment : criminologie, forensique, SHS, économie, humanités.

[2] Concernant la psychologie du sport, la proportion de 50% n’est calculée sur que sur 2 parcours.

[3] Dans la catégories Autres (24 parcours), on trouve notamment : thérapie psychocorporelle, thérapies centrées sur les relations interpersonnelles et les émotions, EMDR, psychogénéalogie, biofeedback, psychologie positive, hypnose, art-thérapie, approche intersectionnelle, phytothérapie, homéopathie, sophrologie, méditation, thérapie des schémas, clinique interculturelle, approche biopsychosociale, Psychodrames, Jeux de rôles ; Psychopathologie inter-culturelle, Psychothérapie groupale et de la famille.