Depuis 2017, le Dr Anne-Lise Ducanda propage un discours catastrophiste sur l’exposition des enfants aux écrans, arguant du fait qu’une telle exposition pourrait rendre des enfants autistes. A l’appui de ses affirmations, les observations faites dans sa PMI : parmi les enfants qu’elle voit, certains ont des symptômes d’autisme ou d’autres troubles du développement, et ces enfants passent souvent aussi beaucoup de temps sur des écrans.

Mes collègues et moi-même avons vite pointé les failles béantes de ce raisonnement. D’une part, sans tenir des statistiques précises et exhaustives sur l’ensemble des enfants, avec ou sans troubles, plus ou moins exposés aux écrans, il est impossible d’affirmer quoi que ce soit sur une éventuelle association entre troubles et exposition aux écrans. Ni Mme Ducanda ni ses collaborateurs n’ont apporté la moindre statistique à l’appui de leurs affirmations. Les résultats de la Cohorte Elfe sont pourtant beaucoup plus nuancés.

D’autre part, quand bien même une association statistique est observée entre l’exposition aux écrans et le diagnostic de certains troubles, cela ne suffit pas à conclure que les écrans sont un facteur de risque du trouble. En effet, une corrélation n’est pas la preuve d’un lien de causalité, il existe d’autres possibilités (Figure 1).

Figure 1 : Trois mécanismes pouvant être à l’origine de la corrélation observée entre exposition aux écrans et capacités ou troubles cognitifs.

Parmi ces possibilités, nous avions évoqué celle que le fait d’avoir un trouble neurodéveloppemental tel que l’autisme pourrait augmenter l’exposition aux écrans (cas de la Figure 1a), par exemple parce que ces enfants recherchent moins les interactions sociales, parce que leur comportement difficile à gérer pour les parents peut faire apparaître les écrans comme une aide possible, ou encore parce qu’ils utilisent des appareils numériques comme outils de communication ou de médiation dans le cadre de leur prise en charge. Néanmoins, nous ne connaissions pas de données testant directement cette hypothèse. Une nouvelle étude vient de suggérer que cette hypothèse pourrait bien être correcte.

Il s’agit d’une étude portant sur 437 enfants âgés de 2 à 4 ans faisant partie d’une cohorte de naissance japonaise. Leur exposition aux écrans a été évaluée par questionnaires parentaux à 24, 32 et 40 mois. Cette exposition a été modélisée, donnant lieu à l’identification de 4 trajectoires (Figure2).

Figure 2 : 4 trajectoires d’exposition aux écrans de 24 à 40 mois. Trajectoire 1 : exposition faible (<1h/jour); 2 : exposition croissante ; 3 : exposition moyenne ; 4 : exposition élevée (>4h/jour). Axe vertical en unités arbitraires. Source : Takahashi et coll. (2023) Psychiatry Research.

Dans cette cohorte, des diagnostics de troubles neurodéveloppementaux ne sont pas disponibles (et seraient de toute façon trop nombreux pour faire des statistiques probantes, vu l’effectif). En revanche, l’ADN des enfants a été collecté et analysé, et a permis de calculer des scores polygéniques indexant les prédispositions génétiques pour l’autisme et pour le TDAH (trouble déficit d’attention et hyperactivité). Pour en savoir plus sur les scores polygéniques, vous pouvez regarder cette vidéo et/ou lire cet article.

Les résultats suggèrent que les prédispositions génétiques à l’autisme augmentent le risque d’avoir une exposition croissante aux écrans (trajectoire 2 : +34% par écart-type du score polygénique de l’autisme), ainsi que d’avoir une exposition élevée (trajectoire 4 ; +27%). De plus, les prédispositions génétiques au TDAH augmentent le risque d’avoir une exposition croissante (trajectoire 2 ; +19% par écart-type du score polygénique du TDAH) mais pas élevée (trajectoire 4 : -42%). Comme l’ADN est stable depuis la conception de l’enfant, on sait que s’il y a un lien de causalité, le sens est nécessairement des prédispositions génétiques vers l’exposition aux écrans, plutôt que le contraire.

Ces résultats sont indépendants du sexe de l’enfant et du nombre de frères et sœurs, facteurs qui ont par ailleurs un effet sur l’exposition aux écrans : les garçons ont plus souvent que les filles une exposition croissante ou élevée (effet déjà connu), et les enfants ayant plus de frères et sœurs ont une exposition plus faible (effet assez plausible).

Bien évidemment, c’est la première étude à rapporter un tel résultat, et elle n’est pas parfaite, il faut donc s’abstenir d’en tirer des conclusions définitives. D’autres études seront nécessaires pour savoir si ce résultat est répliqué, et si ce lien entre prédispositions génétiques et exposition aux écrans explique la totalité des corrélations observées. Néanmoins, à ce stade, j’ai envie d’en tirer les deux conclusions suivantes :

  1. L’association causale entre exposition aux écrans et troubles du développement est un sujet trop complexe et trop sérieux pour être débattu sur la base de simples observations faites dans des PMI, ou dans tout autre contexte clinique.
  2. Les analyses génétiques de prédisposition à des troubles ou à des capacités cognitives ont beaucoup à apporter aux études scientifiques en psychiatrie, en psychologie, et même en sciences sociales. Cette étude en est un excellent exemple. Nous en verrons d’autres prochainement.