Courriel envoyé le 18/12/2022:

Chère Mme Sauvageot,

Suite à la publication de votre conférence à TEDxMinesNancy, j’ai été interpellé par de nombreuses personnes se posant des questions et souhaitant avoir mon avis. Je l’ai donc écoutée, et j’ai moi aussi beaucoup de questions. Auriez-vous l’obligeance d’y répondre ? Comme vous êtes chercheuse en neurosciences, je ne doute pas que vous saurez appuyer vos réponses sur des références scientifiques solides.

Comme beaucoup de personnes se posent visiblement les mêmes questions, je propose que ces questions et ces réponses soient publiques. Je vais donc publier la liste de questions ci-dessous sur mon blog. Dès réception de vos réponses, si vous en êtes d’accord, je les y ajouterai. Ainsi, vous n’aurez à répondre à ces questions qu’une seule fois, et tout le monde sera éclairé.

Dans l’attente de vous lire, bien cordialement,

Franck Ramus

  1. Qu’appelez-vous l’ambilexie ?
  2. Vous dites « selon l’Insee 24% de la population présente des troubles d’apprentissage (…) un quart d’entre nous est dys ».
    J’ai cherché et trouvé les résultats de l’enquête Information et vie quotidienne 2011, mais je n’y trouve pas le nombre cité. Par ailleurs l’enquête de l’Insee recense des difficultés en lecture, écriture et calcul, pas des diagnostics de troubles des apprentissages. Pouvez-vous donc expliquer d’où vient l’estimation de 24% de troubles d’apprentissage?
  3. Vous dites : « Les dys sont hyper empathiques ».
    Sur quoi repose cette affirmation ?
  4. Vous dites : « Ils voient 36 images par seconde au lieu de 25 ».
    Sur quoi repose cette affirmation ?
  5. Vous dites : le dys « veut sauver le monde entier ».
    Sur quoi repose cette affirmation ?
  6. Vous dites : « Gandhi, Mère Teresa : des dys ».
    Pouvez-vous donner la source de ces diagnostics ?
  7. Vous dites : « On dit qu’ils confondent les sons, qu’ils les inversent (…) enfin on dit n’importe quoi. »
    Affirmez-vous que les personnes dyslexiques n’ont pas de difficulté avec la conscience phonologique ?
    Dans ce cas, sur quoi repose cette affirmation ?
  8. Vous dites : « Il y a plein de dys qui n’ont aucun trouble d’apprentissage ».
    Sur quoi repose cette affirmation ?
  9. Vous dites : « Le seul moyen de s’y mettre, c’est à partir de 4 ans en jouant, parce que si on joue aux phonèmes et aux graphèmes, si on joue à construire, à développer, à conceptualiser ce qu’est en fait le vrai apprentissage de la lecture et de l’écriture tel qu’on le connait en neurosciences aujourd’hui, eh bien il n’y aurait même plus de dys parce qu’on passerait direct à l’ambilexie. »
    Quelle est la preuve de l’efficacité d’une telle méthode pour faire disparaître les dys ?
  10. Vous dites : « Il y a 80% des femmes qui sont pas dépistées ».
    Sur quoi repose cette affirmation ?
    Quel que soit le taux véritable de dépistage, sur quoi repose l’affirmation implicite selon laquelle les femmes seraient moins dépistées que les hommes ?
  11. Vous dites : «En gros à partir de 8 ou 9 ans le dys de toute façon il veut mourir ».
    Sur quoi repose cette affirmation ?
  12. Vous dites : « L’analyse de nombreux corpus de dys par des linguistes du monde entier dans différentes langues a démontré qu’ils utilisent une langue neurologique universelle ».
    Sur quoi repose cette affirmation ?
    Quelle est la définition scientifique d’une « langue neurologique universelle » ?
  13. Vous dites : « Si on stimule les caractéristiques de leur langue, ils deviennent alors ambilexes ou bilexiques, et le préfixe dys disparait à jamais. »
    Pouvez-vous expliquer précisément en quoi consiste la stimulation des caractéristiques de leur langue ?
    Et quelles sont les preuves de l’efficacité de cette méthode pour faire disparaître les troubles dys ?
  14. Vous dites : « Alors les solutions : eh bien oui, il faut repérer la dyslexie et il faut que ça soit gratuit. Il faut le faire partout. Et puis il faut aussi une rééducation efficace en numérique ou en présentiel. »
    En quoi ces préconisations diffèrent-elles de ce que tout le monde dit déjà ?
  15. Vous dites : « La dyslexie c’est fini. Nous savons comment la repérer, empêcher l’installation des troubles, les rééduquer s’ils sont déjà installés, et développer les potentialités. »
    Pouvez-vous donner les références scientifiques de tout ce savoir sur le repérage, la prévention, la rééducation et le développement personnel ? Et les références des études montrant que l’application de ce savoir permet de faire disparaitre la dyslexie ?

Non-réponse

Béatrice Sauvageot m’a répondu le 21/12/2022. Elle ne m’a pas autorisé à recopier son message ici.

En substance, elle m’invite à découvrir ses recherches menées sur les 30 dernières années en venant la rencontrer et découvrir ses rééducations, ses outils, et ses résultats avec ses patients. Elle ne répondra pas à mes questions, et ne fournira pas non plus des références bibliographiques qui pourraient y répondre ou détailler ses recherches.

Ce dernier point est ennuyeux, car j’ai beau chercher sur diverses bases de données, je ne trouve rien qui ressemble à une publication de recherche:

https://scholar.google.com/scholar?q=b%C3%A9atrice+sauvageot

Je crains donc qu’on n’en sache pas plus sur les sources de toutes ces affirmations.


Mes commentaires

Bien que les citations me semblent parler d’elles-mêmes, certaines personnes ne connaissant pas bien la dyslexie souhaitent tout de même savoir ce que j’ai à en dire. Voici donc quelques commentaires rapides.

1: Néologisme dont Béatrice Sauvageot est l’inventrice, et sans doute la seule utilisatrice dans le monde. La seule occurrence que j’ai trouvée est un article très ancien, qui l’utilisait dans un sens différent. Idem pour la bilexie.

3, 5, 6: Je ne connais aucune étude scientifique qui permette d’affirmer cela. En cherchant un peu, celles que j’ai trouvées semblaient plutôt indiquer le contraire (plus faible empathie et théorie de l’esprit en moyenne chez les personnes avec dyslexie ou troubles des apprentissages):
https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/13803395.2016.1199663

https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/24750573.2017.1387407

Quant aux diagnostics post-mortem des célébrités, on en trouve déjà suffisamment comme ça sur internet, pas la peine d’en rajouter.

4: Je ne connais aucune étude scientifique sur le sujet. Cela serait vraiment extraordinaire si c’était vrai. On peut lire sur twitter le commentaire de quelqu’un qui est plus expert que moi en vision.

7: Si cette phrase dit bien ce que je comprends, alors elle remet en cause, sans la moindre justification, l’hypothèse cognitive sur la dyslexie qui fait l’objet du plus grand consensus scientifique. Pour une revue récente, voir par exemple:

Share, D. L. (2021). Common Misconceptions about the Phonological Deficit Theory of Dyslexia. Brain Sciences, 11(11), Art. 11. https://doi.org/10.3390/brainsci11111510

8: Les troubles dys sont par définition des troubles des apprentissages, appelés par exemple « trouble développemental de l’apprentissage » dans la 11ème version de la Classification Internationale des Maladies produite par l’OMS. Toute définition n’est bien sûr qu’une convention, et on pourrait en changer. Mais pourquoi changer le sens de mots sur lesquels tout le monde s’accorde?

9: L’idée selon laquelle développer la conscience phonologique des enfants permet dans une certaine mesure de prévenir la dyslexie est consensuelle. Que veut dire « le vrai apprentissage de la lecture » et « passer direct à l’ambilexie », je ne sais pas. Et l’allégation selon laquelle « il n’y aurait même plus de dys » est extraordinaire, et mériterait donc des preuves extraordinaires.

10: Je ne connais aucune donnée à l’appui de cette affirmation.

11: Les enfants avec troubles dys, comme tous les enfants en difficulté, sont plus sujets à divers troubles psychologiques comme la dépression, et peut-être aux idées suicidaires dans les cas les plus critiques. Mais la généralisation paraît quelque peu osée.

12: Je n’ai pas connaissance de tels travaux, ni la moindre idée de ce que pourrait signifier une « langue neurologique universelle ».

13: Idem, je ne comprends pas ce que peut vouloir dire « stimuler les caractéristiques de leur langue ». Et à nouveau, l’allégation thérapeutique est extraordinaire et mériterait donc des preuves extraordinaires.

14: Ce sont pour moi des lieux communs consensuels présentés comme des « solutions ».

15: L’allégation extraordinaire est à nouveau répétée. Malgré tout, en 18 minutes de conférence, aucune description précise et intelligible de la nature des rééducations proposées par Béatrice Sauvageot n’a été donnée. Les seuls indices donnés sont formulés dans un jargon qui lui est propre et qui semble totalement déconnecté de toute compréhension scientifique actuelle des troubles dys, et des apprentissages de la lecture, de l’écriture et des mathématiques.