Cet article complète les réponses données à Checknews dans l’article « La carte mondiale des QI, relayée par des comptes d’extrême droite, a-t-elle une valeur scientifique ?« , publié dans Libération le 14/11/2019.

La question des différences de quotient intellectuel (QI)[i] moyen entre nations est extrêmement controversée.Tellement controversée que la plupart des chercheurs refusent de s’exprimer sur le sujet, voire nient la pertinence même de la question ou des données existantes. Pour ma part, je pense qu’il est préférable d’aborder tout sujet de la manière la plus factuelle et rationnelle possible, sans se laisser impressionner par les idéologies, les contre-idéologies et les anathèmes. Et ce d’autant plus que le sujet est controversé. Ne pas le faire, c’est laisser le monopole du débat aux ignorants et aux idéologues.

En résumé, un petit nombre de chercheurs prennent ces scores de QI nationaux moyens (Figure 1) très au sérieux et considèrent que ces différences reflètent indubitablement des différences génétiques. La plupart des chercheurs spécialistes de l’intelligence ne sont pas convaincus, pour plusieurs raisons.

Figure 1. Distribution des scores moyens de QI à travers les pays. Source : David Becker, View on IQ. Cette carte est à prendre avec des pincettes car les scores représentés n’ont pas été obtenus avec des tests comparables sur des échantillons représentatifs de la population dans chaque pays.

Peut-on comparer les QI nationaux ?

Tout d’abord, il est difficile de comparer les scores des tests entre pays, car un test conçu dans un pays n’est pas nécessairement adapté à une autre culture (en particulier les tests verbaux et ceux qui utilisent des images d’objets). C’est pour cette raison que la plupart des tests, avant d’être utilisés et étalonnés dans un nouveau pays, sont d’abord adaptés à la culture locale. Mais à partir du moment où les tests sont adaptés, donc différents entre deux pays, les scores obtenus ne sont plus comparables! Pour comparer les scores entre pays, il faut des tests identiques. On en est donc réduit à utiliser un petit nombre de tests réputés culturellement neutres, qui n’utilisent ni le langage, ni des références culturelles (comme le test des matrices). Pourtant, même lorsque les tests sont censés être culturellement neutres et sont administrés à l’identique, les scores ne sont pas nécessairement comparables. En effet, il a été montré que les tests peuvent avantager ou désavantager certaines populations, notamment en fonction des mots utilisés dans la langue pour désigner les concepts pertinents (plus les mots sont longs, plus la charge en mémoire de travail est importante, et plus la performance peut être affectée), ou encore de la familiarité avec certains symboles (Grégoire et al. 2008), ce qui fait conclure à certains chercheurs qu’aucun test ne peut être totalement neutre. C’est évident a fortiori dans les cas extrêmes: chez les peuples non scolarisés, l’idée même de passer un test qui n’a aucun sens concret peut n’être pas comprise, et les personnes testées peuvent obtenir des scores qui ne reflètent pas leurs capacités réelles.

L’étude de Lynn et Vanhanen peut encore être critiquée sur d’autres aspects méthodologiques. Car en fait les scores des différents pays n’ont pas tous été obtenus avec les mêmes tests, et ils ont donc fait des choix, des comparaisons et des péréquations qu’on peut trouver discutables. Par ailleurs, des données n’existent pas pour tous les pays, donc ils ont fait des extrapolations à partir de pays voisins. Bref, cette carte peut donner une illusion de précision mais en fait elle est très approximative (voir par exemple Wicherts et al. 2010a, b).

Personnellement, je considère que ces questions de neutralité des tests par rapport à la culture et de méthodologie sont importantes, malgré tout il est très peu probable que les différences de QI observées entre pays soit entièrement expliquées par des biais ou des erreurs de mesure. Balayer d’un revers de main les différences sous ce seul prétexte (comme le font certains) ne me parait pas tenable. Ces différences existent et on comprend très bien pourquoi. Le véritable débat se situe au niveau de l’interprétation des différences.

Comment interpréter les différences de QI moyens entre pays ?

Certains chercheurs, qui se considèrent « réalistes sur les races » (race realists), affirment qu’il est établi au-delà de tout soupçon que les différences de QI moyen entre pays reflètent au moins en partie des différences génétiques. La plupart des chercheurs de la communauté scientifique ne sont pas convaincus, et ce pour deux raisons. La première, c’est qu’aucune preuve n’a été apportée que les différences génétiques entre les peuples soient la cause des différences entre nations[ii]. C’est une hypothèse possible mais non prouvée. La seconde, c’est qu’il existe d’autres explications bien mieux étayées pouvant expliquer ces différences, dans l’environnement bien sûr. J’en citerai deux.

La plus évidente, c’est que les pays diffèrent considérablement en termes de scolarisation et de niveau moyen d’éducation de leur population. Or la scolarisation est un facteur majeur de développement de l’intelligence de l’enfant. Une méta-analyse récente indique que chaque année de scolarité supplémentaire fait progresser l’intelligence des élèves de l’équivalent d’environ 3 points de QI (Ritchie & Tucker-Drob, 2018). La scolarisation est en fait le moyen connu le plus puissant pour augmenter l’intelligence des enfants. Il s’ensuit inévitablement que les pays où la scolarité n’est pas universelle, ou est moins longue, ou de moins bonne qualité que dans les pays les plus développés, ne peuvent pas atteindre le même niveau de QI.

Figure 2.

Deuxièmement, les pays diffèrent aussi considérablement sur d’autres facteurs environnementaux qui ont un effet prouvé sur le développement cognitif de l’enfant, notamment la nutrition et l’exposition à des maladies, et ce aussi bien pendant la période prénatale que post-natale. Par exemple, une étude a montré que la prévalence des maladies infectieuses expliquait à elle seule environ 60% des différences de QI moyen entre nations (Eppig et al. 2010).

Figure 3. QI national moyen à travers 184 pays, en fonction de la prévalence des maladies infectieuses (en logarithme du nombre d’années de vie en bonne santé perdues à causes de maladies infectieuses). Source: Eppig et al. (2010).

Il manque une étude qui compilerait tous les facteurs environnementaux pour évaluer si leurs effets cumulés suffiraient à expliquer totalement les différences de QI moyens entre nations. Si ce n’est qu’elle pourrait difficilement trancher totalement en raison des problèmes de mesure et de comparabilité des scores évoqués précédemment. La question reste donc ouverte: est-ce que des différences génétiques peuvent expliquer une petite partie des différences entre nations? Certains chercheurs affirment que c’est le cas, sans preuve. Beaucoup affirment que non, et considèrent que ces différences sont déjà parfaitement expliquées par les différences de facteurs environnementaux. La vérité est que personne ne le sait, car les données n’ont pas tranché, et il n’est pas clair que l’on dispose d’une méthodologie permettant de conclure définitivement.

En conclusion, il y a consensus scientifique pour dire que des facteurs environnementaux expliquent au moins une large part des différences de QI nationaux. Il n’y a pas de consensus scientifique sur la question de savoir si une part résiduelle de ces différences peut être expliquée par des différences génétiques.

Références

Eppig, C., Fincher, C. L., & Thornhill, R. (2010). Parasite prevalence and the worldwide distribution of cognitive ability. Proceedings of the Royal Society B-Biological Sciences, 277, 3801–3808.

Grégoire, J., Georgas, J., Saklofske, D. H., van de Vijver, F., Wierzbicki, C., Weiss, L. G., & Zhu, J. (2008). Cultural issues in Clinical Use of the WISC-IV. In A. Prifitera, D. H. Sklofske, & L. G. Weiss, WISC-IV Clinical Assessment and Intervention (pp. 517–544). Hoboken, N.J: Wiley.

Ritchie, S. J., & Tucker-Drob, E. M. (2018). How Much Does Education Improve Intelligence? A Meta-Analysis. Psychological Science, 29(8), 1358–1369.

Wicherts, J. M., Dolan, C. V., & van der Maas, H. L. (2010a). A systematic literature review of the average IQ of sub-Saharan Africans. Intelligence, 38, 1–20.

Wicherts, J. M., Dolan, C. V., & van der Maas, H. L. (2010b). The dangers of unsystematic selection methods and the representativeness of 46 samples of African test-takers. Intelligence, 38, 30–37.


[i] Pour ceux qui croient encore que le QI ne mesure rien de pertinent, merci de se reporter aux épisodes précédents:

La course au QI – Réponses complètes.

Le QI c’est n’importe quoi. Oui, mais encore?

L’intelligence dans tous ses états

[ii] Malgré des tentatives récentes de prédire les QI nationaux à partir de scores polygéniques (Dunkel et al., 2019 ; Lasker et al. 2019 ; Piffer, 2019). Ces études sont jugées non pertinentes par les spécialistes, car elles utilisent des scores polygéniques établis pour la population d’origine européenne, dont il a été montré qu’ils sont très sensibles aux caractéristiques de la population sur laquelle ils ont été constitués, et qu’ils sont peu ou pas associés au QI dans d’autres populations (Lee et al. 2018 ; Mostafavi et al. 2019). Par conséquent, la comparaison de GPS moyens entre pays n’a pas grand sens et ne peut pas être interprétée comme expliquant des différences de QI entre populations (Freese et al. 2019 ; Martin et al. 2017).

Une explication plus détaillée est donnée dans le commentaire ci-dessous.

Dunkel, C. S., Woodley of Menie, M. A., Pallesen, J., & Kirkegaard, E. O. W. (2019). Polygenic scores mediate the Jewish phenotypic advantage in educational attainment and cognitive ability compared with Catholics and Lutherans. Evolutionary Behavioral Sciences, 13(4), 366–375.

Freese, J., Domingue, B., Trejo, S., Sicinski, K., & Herd, P. (2019). Problems with a Causal Interpretation of Polygenic Score Differences between Jewish and non-Jewish Respondents in the Wisconsin Longitudinal Study [Preprint]. https://doi.org/10.31235/osf.io/eh9tq

Lasker, J., Pesta, B. J., Fuerst, J. G. R., & Kirkegaard, E. O. W. (2019). Global Ancestry and Cognitive Ability. Psych, 1(1), 431–459. https://doi.org/10.3390/psych1010034

Lee, J. J., Wedow, R., Okbay, A., Kong, E., Maghzian, O., Zacher, M., … Cesarini, D. (2018). Gene discovery and polygenic prediction from a genome-wide association study of educational attainment in 1.1 million individuals. Nature Genetics, 50(8), 1112–1121. https://doi.org/10.1038/s41588-018-0147-3

Martin, A. R., Gignoux, C. R., Walters, R. K., Wojcik, G. L., Neale, B. M., Gravel, S., … Kenny, E. E. (2017). Human Demographic History Impacts Genetic Risk Prediction across Diverse Populations. The American Journal of Human Genetics, 100(4), 635–649. https://doi.org/10.1016/j.ajhg.2017.03.004

Mostafavi, H., Harpak, A., Conley, D., Pritchard, J. K., & Przeworski, M. (2019). Variable prediction accuracy of polygenic scores within an ancestry group. BioRxiv, 629949. https://doi.org/10.1101/629949

Piffer, D. (2019). Evidence for Recent Polygenic Selection on Educational Attainment and Intelligence Inferred from Gwas Hits: A Replication of Previous Findings Using Recent Data. Psych, 1(1), 55–75.