Le blog scientifique de ma collègue d’Oxford Dorothy Bishop est vraiment excellent, je le recommande chaleureusement à tout lecteur de l’anglais intéressé par la psychologie, les neurosciences, l’autisme et les troubles du langage.
Un billet me semble particulièrement utile à signaler ici: « Neuroscientific interventions for dyslexia: red flags« . Je n’ai pas le temps de le traduire, j’en livre ici les différents points mais il faut lire l’original.
Dorothy Bishop met en garde contre les traitements de la dyslexie qui prétendent être « basés sur les neurosciences » ou « agir directement sur le cerveau des enfants », qui prospèrent outre-Manche et outre-Atlantique, sur le dos des familles désespérées et prêtes à tout pour trouver une prise en charge efficace pour leur enfant. Point intéressant, elle fait toute une liste de critères auxquels les parents devraient prêter attention avant d’investir du temps et de l’argent dans un nouveau traitement:
- Qui est à l’origine du traitement? Quelles sont ses qualifications? Ses prétentions académiques sont-elles appuyées sur des publications scientifiques expertisées (les livres ne comptent pas)?
- Y a-t-il une explication scientifiquement plausible au traitement? (pour ce point comme pour le précédent, elle suggère notamment de faire des recherches par mots-clés sur Google Scholar, au moins en première approche)
- Pour qui le traitement est-il recommandé? (plus le nombre de troubles concernés est grand, plus c’est louche)
- Est-ce que les prétentions thérapeutiques sont appuyées sur des essais cliniques contrôlés? (les témoignages de parents satisfaits ne comptent pas)
- Quelle est l’attitude des promoteurs du traitement vis-à-vis des approches scientifiques et médicales traditionnelles? (plus ils les rejettent, plus ils invoquent une espèce de complot de la « science officielle » contre eux, plus c’est louche)
- Est-ce que les tarifs pratiqués sont clairement affichés et raisonnables?
Évidemment cette approche est compliquée à mettre en œuvre pour les parents qui ne seraient pas eux-mêmes chercheurs ou médecins (notamment les points 1, 2, et 4). Et le fait est que pas grand monde peut se targuer de passer l’épreuve avec succès, car même les rééducations orthophoniques qui semblent les plus plausibles et les plus indiquées ont somme toute fait l’objet de beaucoup trop peu d’études cliniques de qualité (ce que nous avions déjà pointé dans l’Expertise collective de l’Inserm de 2007). Et les orthophonistes ne sont pas plus prompts que les autres professionnels à organiser et à se prêter à l’évaluation de leurs pratiques. Mais ces critères ont tout de même le mérite d’inciter les parents à se poser les bonnes questions et à exercer leur esprit critique, ce qui ne peut pas être mauvais.
En France, autant que je sache, on est plutôt moins inondés qu’en Grande-Bretagne de traitements commerciaux aux prétentions neuroscientifiques infondées, mais on n’est pas à l’abri non plus. A ma connaissance, ce qui s’en rapproche le plus est sans doute la rééducation posturologique/proprioceptive, qui repose effectivement sur des principes inconnus dans la littérature scientifique, et sur un embryon d’essai clinique non contrôlé et non concluant.
Dans le contexte très franco-français qui est le nôtre, j’ai aussi envie d’ajouter à la liste de Dorothy Bishop que la vigilance ne doit pas s’exercer uniquement vis-à-vis des rééducations aux prétentions neuroscientifiques. Si un professionnel prétend traiter « les causes profondes, pas les symptômes », s’il vous demande si vous avez désiré votre enfant, s’il vous dit que vous le couvez trop, s’il vous pose des questions sur votre couple, etc., ce sont autant d’indices qui doivent, eux aussi, déclencher un signal d’alarme. (cf. mon précédent billet à ce sujet)
Bonjour,
Je fais partie des malheureux professeurs qui ont eu affaire à de nombreux dyslexiques documentés pendant toute ma carrière (40 ans) et encore plus malheureux parce que j’ai trouvé d’expérience des solutions qui n’ont jamais été testées scientifiquement.
Elles existent depuis 1985 et je n’en fais évidemment pas commerce et elles ont un rapport, me semble-t-il, avec les neurosciences.
Chez le dyslexique (ou l’élève en retard scolaire mais pour d’autres raisons) la mémoire de travail fonctionne mal soit dans les deux voies (visuelle ou auditive) soit dans une seule soit dans la coordination entre les deux. il faut donc inhiber ce dysfonctionnement en faisant en sorte que la mémoire sémantique rétrocontrôle l’opération de reconnaissance du mot.
La lecture se fait alors ortho-sémantique. Par exemple, on associe des amorces graphiques non syllabiques et non phonologiques avec un champ lexical précis : jo..allégr..eupho..jubila..etc. que l’on va lire à haute voix joie, allégresse, euphorie, jubilation mais auparavant on a procédé à différents jeux de reconnaissance très rapides (par des définitions dans un texte spécifique, par intrus, appariements etc.)
Quel est l’intérêt ? Il est double : on associe un sens à une graphie sans passer par un assemblage phonologique ou syllabique et on soulage en plus la mémoire de travail tout en gommant ses déficits qu’ils soient phonétiques ou visuels, sans parler de la création d’un réseau associatif qui permettra une meilleure reconnaissance des mots.
Il s’agit, tout bêtement, d’une sorte de table de lecture de champs lexicaux logiquement organisés comme il existe des tables de multiplication.
Evidemment, on joint à cet exercice fondamental (et en réalité, je le rappelle, le dernier exécuté) d’autres exercices qui convergent vers le même but : des textes qui réutilisent ces mêmes mots, des intrus, des appariements, des mots masqués.
J’intégrais à mon cours des séances de 15 minutes (le vocabulaire avait un rapport avec le texte de littérature étudié) et au bout de 15 semaines nous avions un thésaurus de milliers de mots classés et donnant lieu à des réactivations ludiques et intenses (en 30 minutes, évocation de 1000 mots classés)
Après, j’ai pu constater des progrès en lecture, en compréhension, en mémorisation, une réconciliation avec l’écrit, de meilleurs résultats, un lissage des résultats (les élèves les plus en retard rejoignaient les plus en avance) une amélioration des capacités d’attention.
Il me semble évident qu’une telle pratique commencée dès le CM1 (pas avant, trop tôt) et continuée dans les autres classes éviterait l’effondrement des performances en lecture que nous connaissons actuellement.
En un mot, cette sorte d’algorithme d’apprentissage ou de réapprentissage de la lecture par un décodage sémantique sur amorce graphique et d’autres exercices mériterait une étude scientifique, ce qui n’est pas de mon ressort.
Cordialement
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