En ces temps de campagne électorale, et dans un contexte de défiance importante des citoyens français vis-à-vis de leurs représentants politiques, il n’est pas inintéressant de se demander quelles qualités nous aimerions voir chez nos élus. La psychologie, en tant que science des capacités cognitives, mais aussi des faiblesses et des défaillances des êtres humains, peut certainement apporter un éclairage pertinent à ce sujet. Dressons donc le portrait du candidat idéal, en se focalisant sur les qualités qui, à notre sens, sont les plus importantes pour qualifier l’aptitude à prendre les meilleures décisions dans l’intérêt général.

Rapport à la connaissance

Être conscient de sa propre ignorance.

Comprendre comment s’acquiert la connaissance.

Savoir où et comment chercher une réponse fiable à une question.

Savoir identifier les experts d’un sujet donné.[1]

N’accepter aucun argument d’autorité, systématiquement vérifier (ou faire vérifier par des gens compétents) les données et les sources.

Raisonnement

Être capable de raisonner de manière quantitative.

Être capable de raisonner en termes probabilistes et en espérance.

Être capable de faire une analyse bénéfices/coûts.

Raisonner en prenant en compte les contrefactuels (états du monde alternatifs anticipés si l’on n’accomplit pas l’action envisagée).

Connaître et savoir reconnaître les biais cognitifs les plus courants (y compris chez soi-même).[2]

Ne pas polariser les positions (raisonner en tout blanc ou tout noir), prendre en compte toutes les positions intermédiaires possibles.

Prise de décision

Ne jamais prendre de décisions « à chaud » sous l’emprise de l’émotion.

Être disposé à changer d’avis.

Savoir écouter et prendre en compte le point de vue de toutes les parties prenantes (notamment les personnes directement concernées).

Savoir organiser et exploiter l’intelligence collective pour faire émerger les meilleures décisions de points de vue divers.

Pour tout choix politique, analyser l’ensemble des options possibles, pour elles-mêmes, sans préjugé, de la manière la plus complète et objective possible, en se basant sur des données factuelles, plutôt que :

  • Reprendre aveuglement l’option préconisée par une idéologie ou un parti.
  • En fonction du bord politique supposé de chaque option.
  • En fonction des options préférées à d’autres questions sans rapport, mais supposées faire partie d’un même « package » idéologique ou partisan. (ex : lier ses choix sur la fiscalité à ses choix sur l’immigration ou sur l’éducation).

Avoir une vision systémique (prendre en compte tous les effets en chaîne d’une action et pas seulement les effets immédiats attendus).

Accorder un poids plus important aux effets sur le long-terme.

Pour toute politique publique, s’efforcer de définir à l’avance les critères de succès et d’échec, et mettre en place dès le départ la collecte de données et la procédure qui permettra son évaluation a posteriori.

Choisir les indicateurs pertinents pour l’intérêt général (pas uniquement les plus populaires comme le PIB)[3].

Dans les situations d’ignorance de l’efficacité de différentes politiques publiques, adopter une approche expérimentale permettant de les comparer rigoureusement.

Dans la conception de toute politique publique, prendre en compte les capacités et les limites cognitives des citoyens auxquelles elles s’adressent. [4]

Apprentissage et progrès cumulatif (ajout du 12/04/2022)

Passer systématiquement en revue les données d’évaluation des politiques passées, afin de déterminer dans quelle mesure elles ont réussi ou échoué, et de décider si elles doivent être poursuivies et amplifies, modifiées, ou stoppées.

Pratiquer régulièrement l’autopsie des prises de décision passées: que s’est-il passé? comment avons-nous réagi? quels ont été les conséquences? avec le recul, aurait-on pu faire mieux? comment améliorer nos processus de décision pour faire mieux à l’avenir?

Documenter, archiver et indexer toutes les données collectées, toutes les décisions prises, toutes les informations qui pourraient s’avérer utile dans le futur, y compris pour les occupants ultérieurs du poste, plutôt que de pratiquer la terre brûlée et de tout effacer en partant.

Gouvernance (ajout du 12/04/2022)

Nommer les gens à leur poste en fonction de leurs compétences, plutôt qu’en fonction des affiliations partisanes, des alliances de circonstance, et des ascenseurs à renvoyer.

Laisser aux gens le temps de s’approprier leurs nouvelles fonctions et d’accumuler une expertise, plutôt que de les remplacer tous les 18 mois dès qu’ils commencent à connaître leurs dossiers.

Communication

Renoncer à avoir une opinion sur tous les sujets.

Renoncer à vouloir avoir toujours raison.

Vérifier ses sources avant de s’exprimer.

Être capable de reconnaître ne pas savoir.

Être capable de reconnaître s’être trompé.

Être capable de communiquer et de justifier les choix faits en situation d’incertitude.

Ne pas se laisser entrainer dans le cirque médiatique des « petites phrases », des commentaires de « petites phrases », et des commentaires de commentaires qui détournent le débat public des sujets importants.

L’application de cette grille d’évaluation aux candidats à l’élection présidentielle, et plus généralement à notre personnel politique, peut laisser un sentiment de frustration. Pourquoi notre système politico-médiatique échoue-t-il si piteusement à attirer et à hisser au pouvoir des personnes ayant les qualités désirées ? Comment pourrait-on le réparer pour qu’il soit en mesure de le faire ?


[1] Lire à ce sujet : Ramus, F. (2014). Comprendre le système de publication scientifique. Science et Pseudo-Sciences, 308, 21-34.

[2] Lire à ce sujet : Mercier, H. et Sperber, D. (2021). L’énigme de la raison. Odile Jacob.

[3] Voir par exemple les nouveaux indicateurs de richesse définis par France Stratégie.

[4] Pour les mêmes raisons qu’évoquées en introduction, la psychologie a aussi beaucoup à apporter à la conception de politiques publiques visant à modifier le comportement des citoyens. Lire à ce sujet Chevallier, C., & Perona, M. (2022). Homo sapiens dans la cité : Comment adapter l’action publique à la psychologie humaine. Odile Jacob.