On savait que les religions ne faisaient pas bon ménage avec la science. Pourtant, certains défendent encore l’idée selon laquelle la science et la religion seraient simplement des formes différentes d’accès à la connaissance1. D’autres défendent l’idée selon laquelle certaines formes de religion, jugée plus modernes et éclairées (généralement, le christianisme en occident) sont parfaitement compatibles avec la science, chacune restant sur son domaine et ses prérogatives propres. Pourtant, dès que les religions se mêlent de vouloir résoudre les problèmes des êtres humains dans le monde réel, elles se situent immanquablement sur le terrain de la science. C’est particulièrement évident lorsque les religions se mêlent de vouloir améliorer la santé des êtres humains. La crise du COVID-19 en fournit une illustration éclatante.

J’ai collecté ci-dessous une série d’exemples édifiants, en m’appuyant notamment sur l’excellent travail du twitteur Hérétique et des vidéastes de la Tronche en biais. Comme cette liste est désespérément longue, et croît de jour en jour, voici des raccourcis vers les différentes sections:

Ils y croient dur comme fer

Petit tour du monde des croyances et remèdes étranges de nos amis religieux.

Le savant irakien Hadi Al Modarresi, avant d’être infecté par le coronavirus: “le virus est une punition divine contre les Chinois” (28/02/2020):

D’après un certain nombre de pasteurs, rabbins et imams informés de source sûre, c’est la faute des homosexuels:  (8/03/2020)

Voici comment le pasteur évangélique Kenneth Copeland guérit le coronavirus: (11/03/2020)

Le pape, lui aussi, pense qu’il suffit de demander pour infléchir les lois de la nature, et tient à en informer ses 1,3 milliards de fidèles, pour qu’ils ne s’inquiètent pas trop: (18/03/2020)

Un peu déçu de l’efficacité de sa prestation précédente, le révérend Kenneth Copeland remet ça le 31 mars. Et cette fois on ne rigole plus:

Autre ambiance, chez les anthroposophes on mise tout sur les dessins bizarres, pour résister au virus… — Hérétique (1/04/2020)

Le pape n’avait sans doute pas assez bien demandé. Un de ses coreligionnaires a la recette: il fallait monter sur le toit pour que le message porte mieux! (1/04/2020)

Demander au seigneur ne semble pas suffire, même sur le toit, alors les catholiques sortent les grands moyens: des bouts d’os! (5/04/2020)

Comme Jésus semble un peu dur d’oreille, Kenneth Copeland prend lui-même les choses en main et souffle un vent chaud pour terrasser le Covid-19: (7/04/2020)

Le curé d’Arras sur son toit a semblé petit joueur aux orthodoxes russes: ils prennent l’avion pour mieux se faire entendre (14/04/2020)

A défaut d’être entendu en haut lieu, un crâne, ça pourrait faire peur au virus: (19/04/2020)

Mise en danger de la vie d’autrui

Quand les croyances baroques ne font plus rire mais pleurer. Ces gens bien intentionnés mais irresponsables auront-ils un jour à répondre de leurs actes ? Ou la mise en danger la vie d’autrui échappe-t-elle à la justice lorsqu’elle est faite au nom de croyances religieuses ?2

Les catholiques ont usé de moyens assez classiques pour aider à propager le virus, à savoir les rassemblements:

Messe d’intercession à l’Eglise d’Ars-sur-Moselle le 12/03/2020

 

Procession catholique dans le nord le 12/03/2020

Messe d’intercession contre le coronavirus à Toulon le 14/03/2020

N’oublions pas les parisiens: (12/04/2020)

 

Les évangéliques américains appliquent la même stratégie que les catholiques français: (Le Monde, 2/04/2020)

En plus de faire des messes, ils veulent aussi maintenir leurs manifestations anti-IVG, de toute évidence essentielles: (2/04/2020)

Les messes et les manifestations ne suffisent plus, il leur faut carrément Woodstock! (12/04/2020)

L’islam aussi apporte sa contribution:

Les orthodoxes russes, eux, considèrent que rassembler les gens n’est pas suffisant; il faut aider le virus à circuler en incitant les gens à le partager: (15/03/2020)

Pour certains évangéliques, les orthodoxes sont encore un peu mous. Pourquoi laisser la propagation du virus au hasard des contacts avec les idoles, alors qu’on peut l’appliquer directement sur le nez de chaque fidèle?

 

En Grèce, on place ses espoirs dans le vin de messe: (7/03/2020)

Les conséquences ne se font pas attendre: (13/04/2020)

Pourquoi se contenter de diffuser le virus au sein de sa propre communauté, quand on peut en plus le propager à d’autres peuples qui n’ont rien demandé? (26/04/2020)

Maintenant qu’on envisage le déconfinement, les églises font pression pour pouvoir réouvrir leurs portes le plus vite possible. N’ont-elles toujours rien appris? (28/04/2020)

Non content de ces actions éparses que l’on pourrait charitablement attribuer à des excès de zèle individuels, un groupe de catholiques pétitionne contre le confinement, met en doute « l’effective contagiosité, la dangerosité et à la résistance du virus », affirme « qu’il existe des pouvoirs fort intéressés à créer la panique parmi la population dans le seul but d’imposer de façon permanente des formes de limitation inacceptables de la liberté, de contrôle des personnes, de suivi de leurs mouvements », dénonce « l’ingérence des puissances étrangères », et j’en passe, sombrant dans un conspirationnisme complètement délirant: (7/05/2020)

Le plus triste, c’est que malgré l’échec patent de la prière et de tous les autres remèdes miracles des religions face au coronavirus, la plupart des croyants n’y verront pas une réfutation de leurs croyances, et leur religiosité en sortira intacte, voire renforcée. Ainsi fonctionne la croyance chez l’être humain.3

Quand les politiques préfèrent la religion à la science

Les croyances religieuses font déjà assez de dégâts comme ça, quand les politiques leur donnent une reconnaissance légale et une portée civile, locale ou nationale, le pire est à craindre.

La prière, ça marche, puisqu’on vous le dit:

Toutes les visites en EHPAD sont suspendues depuis le 11 mars 2020. Mais pour les familles seulement, pas pour Christian Estrosi, qui supervise en personne la mise en application de la mesure le 13 mars: (on espère que le fils de Marie-Antoinette aura apprécié)

Le soir-même, Christian Estrosi va serrer quelques mains de plus à la messe, et appelle à la prière. Comme ça les fidèles et les résidents de l’EHPAD pourront dormir tranquilles! L’histoire ne dit pas s’il s’est également confessé.

Le 16 mars 2020, Christian Estrosi est testé positif au COVID-19. Heureusement, les nouvelles sont rassurantes. Pour lui. On attend des nouvelles de Marie-Antoinette et de tous ceux à qui il a parlé et serré la main, alors que les EHPAD étaient déjà confinés et que la fermeture des écoles et universités était annoncée:

En Tanzanie, même topo qu’aux Etats-Unis:

Un mois plus tard, il y croit toujours dur comme fer: (21/04/2020)

Exposer tout le monde au virus, c’est bien, mais le ventre vide, c’est mieux, pour stimuler les défenses immunitaires: (3/04/2020)

Enfin, une étude scientifique avec un groupe témoin pour déterminer si Dieu existe ou pas: au moins 14 états des USA exemptent les rassemblements religieux du confinement: (5/04/2020)

La numérologie devient médecine officielle de l’Inde, rejoignant ainsi l’urine et la bouse de vache sacrée :

Conclusions

Ce tour du monde des croyances et actions religieuses relatives au COVID-19 a le mérite de mettre en perspective la situation française. On peut certainement critiquer la gestion de la crise par le gouvernement français, mais on est bien obligé de constater que nous sommes bien chanceux d’être en France, plutôt qu’au Bangladesh, en Tanzanie, au Brésil, ou même aux Etats-Unis. La séparation de l’Etat et des religions a joué son rôle: le chef de l’Etat a consulté les représentants de certaines religions4, mais ne leur a rien cédé et leur a appliqué les mêmes règles qu’à toutes les collectivités. De ce fait, les dégâts des religions resteront limités en France, malgré les dérives inacceptables de quelques chefs religieux et élus locaux (et en espérant qu’on ne laisse pas les églises rouvrir trop vite).

Ainsi, l’influence néfaste des croyances magiques et l’irresponsabilité de certains chefs religieux n’a pas les mêmes effets partout: dans les pays où ces facteurs ont le soutien des responsables politiques (voire des institutions étatiques liées à une religion officielle), et où ils se combinent avec la forte religiosité et la forte densité de la population, et avec un système sanitaire défaillant, on a là tous les ingrédients d’une tragédie à une échelle massive dont nous ne voyons encore que les prémisses.

Il est bien sûr beaucoup trop tôt pour tirer un bilan de la gestion de la crise sanitaire. La responsabilité est en premier lieu politique. Mais le choix des politiques de s’appuyer sur les meilleures connaissances scientifiques, ou de s’en remettre à des croyances religieuses insensées, ou encore de vouloir jouer sur les deux tableaux au mépris de toute cohérence, fera une différence colossale: ce sera peut-être le principal facteur qui distinguera les pays qui se relèveront de la crise et ceux qui en sortiront détruits.

Les religions promeuvent chez leurs fidèles des croyances dysfonctionnelles, qui nuisent à leur santé et même parfois à leur vie. Dans le cas d’une pandémie, ces croyances dysfonctionnelles mettent en danger la vie des autres aussi. Cela n’est pas nouveau. Mais pour tous ceux qui en doutaient encore, pour tous ceux qui pensaient qu’au moins les formes supposées les plus modernes et éclairées de la religion étaient à l’abri de ce genre de dérives, la crise du COVID-19 aura été une piqûre de rappel fort instructive. Les croyances irrationnelles finissent tôt ou tard par avoir des conséquences. Dans le cas présent, elles sont responsables de milliers de morts parfaitement évitables.


1. Par exemple, le pape Jean-Paul II dans l’encyclique Fides et ratio (1998). Plus généralement, sur les rapports entre science et religion, consulter l’excellent dossier thématique de l’AFIS.

2. Je n’ai pas ajouté l’église évangélique de Mulhouse à cette liste, bien qu’elle ait joué un rôle indéniable dans l’épidémie en France, considérant que ses dirigeants pouvaient plaider une relative ignorance du danger à la date du rassemblement du 17 au 24/02/2020. Cette section démarre au 12/03/2020, date à laquelle il n’était plus possible de l’ignorer, les premières mesures de confinement (fermeture des écoles et universités) étant annoncées.

3.Lire à ce sujet le récit des travaux de Leon Festinger sur la religion apocalyptique de Salt Lake City.

4. Quoique pas l’Eglise du Monstre en Spaghetti Volant, on ne peut que déplorer cette discrimination.