La prépondérance de la psychanalyse au sein de la psychologie clinique française reste un sujet de débats animés : d’un côté, les détracteurs de la psychanalyse se lamentent de son emprise considérable, et du fait que la situation ne semble pas évoluer (ou excessivement lentement)[1] ; de l’autre, les défenseurs de la psychanalyse adoptent une posture victimaire, se présentant comme une espèce en voie de disparition sous les assauts répétés de forces hostiles[2].

L’objet de cet article n’est pas de prendre parti pour un camp ou pour l’autre, mais simplement d’apporter des données factuelles incontestables pour que ce débat soit fondé sur des faits, et non sur des allégations invérifiables.

Il existe plusieurs sources de données qui peuvent être utilisées dans ce but. Dans le présent article, nous allons examiner :

  • Les affiliations revendiquées par les membres de la section 16 du CNU[3].
  • Les demandes de qualifications reçues par la section 16 du CNU.
  • Les postes de maître de conférences et de professeurs de psychologie ouverts au concours en 2020 dans les universités françaises.

Dans un article ultérieur, nous examinerons les mentions de Master en psychologie dans les universités françaises.

Composition de la section 16 du CNU

La section 16 du CNU a été renouvelée à l’automne 2019. Le bureau nouvellement élu a procédé à un sondage des 72 membres (titulaires et suppléants) leur demandant de déclarer la sous-discipline de la psychologie à laquelle ils se rattachaient. 55 membres ont répondu. Les données manquantes ont été complétées en analysant les pages web des non-répondants. Les résultats (qui incluaient aussi une analyse de l’équilibre hommes/femmes et de la répartition géographique) ont ensuite été diffusés à l’ensemble des enseignants-chercheurs en psychologie par Thérèse Collins, présidente de la section 16. Ils sont donnés dans la Figure 1.

Figure 1. Sous-disciplines de l’ensemble des membres de la section 16, avec différentiation de la psychologie clinique entre courants psychanalytique et autres. Ergo : ergonomie ; Sociale : psychologie sociale ; PTO : psychologie du travail et des organisations ; Dév : psychologie du développement ; Diff : psychologie différentielle ; Santé : psychologie de la santé ; Cognitive : psychologie cognitive ; Clinique : psychologie clinique non psychanalytique. Source : Thérèse Collins, section 16 du CNU.

Ce sondage a le mérite de montrer qu’il y a de nombreuses sous-disciplines au sein de la psychologie, la psychologie clinique (qui s’occupe des troubles mentaux, des psychothérapies) ne représentant pas plus d’un quart.[4]

Au sein de la psychologie clinique, les membres de la section 16 se répartissent actuellement à parts égales entre les courants psychanalytiques et les autres courants (TCC, systémique, familiale…).

Demandes de qualification en 2020

La section 16 a également diffusé des statistiques sur les sous-disciplines des demandes de qualification reçues pour l’année 2020. Les résultats sont donnés en figures 2 (postes de professeur des universités, PR) et 3 (postes de maître de conférences, MCF).

Figure 2. Sous-disciplines des demandes de qualification au poste de professeur des universités en psychologie en 2020. Source : Thérèse Collins, section 16 du CNU.

Les demandes de qualification au poste de PR (Figure 2) sont le fait de personnes qui ont déjà un certain nombre d’années d’ancienneté (au moins 8) dans le grade de MCF. Elles donnent donc une image des enseignants-chercheurs en psychologie actuellement en poste. Au sein de la psychologie clinique, on observe que le courant psychanalytique est dominant, recueillant environ 61% des demandes de qualification.

Figure 3 : Sous-disciplines des demandes de qualification au poste de Maître de conférences en psychologie en 2020. Source : Thérèse Collins, section 16 du CNU.

A contrario, les demandes de qualification au poste de MCF (Figure 3) sont le fait de personnes qui généralement n’ont pas de poste titulaire à l’université ou en organisme de recherche, et qui ont soutenu leur doctorat quelques années auparavant. Elles reflètent donc les courants représentés parmi les jeunes docteurs en psychologie. Au sein de la psychologie clinique, on observe une prédominance des courants non psychanalytiques (77%).

La comparaison des deux niveaux de qualification fait apparaître un fort contraste à deux niveaux :

  • D’une part, la psychologie clinique est surreprésentée parmi les demandes de qualification MCF (35%) par rapport aux demandes de qualification PR (23%). Autrement dit, la psychologie clinique produit plus d’aspirants à un poste universitaire, et donc probablement plus de doctorats par enseignant-chercheur en poste, que les autres sous-disciplines de la psychologie. Il y a sans doute plusieurs explications possibles à cette observation. L’une d’entre elles est qu’il est peut-être plus fréquent pour les psychologues cliniciens de mener un doctorat en parallèle avec leur activité clinique, sans financement spécifique, alors que les étudiants dans les autres sous-disciplines seraient plus dépendants de l’obtention d’une bourse de doctorat pour effectuer une thèse.
  • D’autre part, il semble que par rapport à leurs aînés qui sont majoritairement de courant psychanalytique (61%), les candidats à un poste de MCF en psychologie clinique ne sont plus que 33% à s’en réclamer. Si cette tendance est confirmée sur plusieurs années, elle pourrait refléter un changement générationnel massif en l’espace de 10-15 ans (le délai typique entre les demandes de qualification MCF et PR). L’explication d’une telle tendance reste à déterminer. Cela pourrait refléter un plus grand nombre de thèses récemment soutenues dans les approches non psychanalytiques que psychanalytiques. Peut-être les contrats doctoraux sont-ils plus souvent attribués à des projets portant sur les approches non psychanalytiques ? Je suis preneur de toute donnée permettant de le déterminer. Reste à savoir si ces candidats à un poste de MCF en psychologie clinique non psychanalytique vont trouver des postes correspondant à leur profil.

Postes d’enseignants-chercheurs en psychologie ouverts en 2020

J’ai téléchargé le 6/04/2020 la liste des postes d’enseignants-chercheurs ouverts au concours en 2020 sur le portail Galaxie. J’ai extrait ceux qui relevaient de la section 16, puis je les ai catégorisés (colonne W) selon les sous-disciplines, sur la base du profil indiqué (colonne P du fichier). Pour la catégorie Psychologie clinique, j’ai de plus subdivisé entre Psychologie clinique psychanalytique et Psychologie clinique non psychanalytique. Lorsque que l’intitulé du profil de poste n’était pas suffisamment explicite pour déterminer immédiatement l’orientation (lignes en jaune), j’ai consulté le profil complet. Par souci de transparence je donne dans ces cas le lien vers le profil. Je peux bien sûr avoir fait des erreurs de catégorisation, n’hésitez pas à me les signaler. Les résultats sont donnés dans la Figure 4 (les nombres de postes sont également compilés dans le fichier source dans les colonnes Y-AB).

Figure 4 : Sous-disciplines et courants des postes d’enseignants-chercheurs en psychologie ouverts au concours en 2020. Source : Portail Galaxie.

On observe donc que, parmi les 22 postes en psychologie clinique ouverts au concours en 2020, 13 (59%) relèvent de l’approche psychanalytique, et 9 des autres approches. Cette répartition est similaire dans les postes de MCF et de PR.

Conclusions

L’analyse de la composition de la section 16 et des demandes de qualification PR convergent pour suggérer que les enseignants-chercheurs en psychologie clinique en poste actuellement sont en majorité (environ 60%) d’orientation psychanalytique.

L’analyse des postes ouverts au concours en 2020 suggère un équilibre similaire. Autrement dit, les recrutements effectués cette année vont préserver la prépondérance de la psychanalyse au sein des différentes approches de la psychologie clinique.

Une seule donnée s’écarte de ce constat : les demandes de qualifications au grade de MCF en psychologie clinique sont majoritairement dans les orientations non psychanalytiques. Il n’est pas clair à ce stade s’il s’agit d’une tendance durable, ni quelles en sont les explications. Néanmoins, on ne peut que constater qu’il y a cette année un déséquilibre entre l’offre de postes de MCF en psychologie clinique (majoritairement psychanalytique), et la demande de la part des jeunes docteurs (majoritairement non psychanalytique).

Au final, les données factuelles disponibles suggèrent que la psychanalyse reste dominante au sein de la psychologie clinique dans les universités françaises, et ne semble pas en voie de disparition.

Post-scriptum

Il manque ici des données similaires sur les années précédentes permettant d’analyser les tendances au cours du temps. Il manque également des données d’autre nature permettant de départager différentes explications possibles des tendances observées. Je serai reconnaissant à toute personne pouvant m’apporter de telles données.


[1] Voir par exemple la pétition « Pourquoi les psychanalystes doivent être exclus des tribunaux » (2019), l’article « Psychologie à l’université : témoignages sur un « Hold-up » » (2019), l’article « En marche arrière pour la psychiatrie et la psychologie? » (2017), l’article « Manifeste pour une psychiatrie et une psychologie basées sur des preuves scientifiques » (2012), Le livre noir de la psychanalyse (2005).

[2] Voir par exemple la pétition « Contre l’exclusion de la psychanalyse pour la diversité des méthodes de recherches et de soins » (2019), la pétition « Contre la suppression de la psychanalyse dans la formation des psychologues cliniciens » (2018), la lettre-pétition « Lettre au président de la république : Pour la Psychanalyse » (2017), la pétition « Pour l’enseignement de la psychanalyse à l’université » (2013), l’article « L’enseignement de la psychanalyse à l’université est-il condamné à disparaître ? » (2008)

[3] La section 16 « Psychologie et ergonomie » du Conseil National des Universités (CNU) a notamment pour mission de qualifier (ou pas) les candidats potentiels aux postes de maître de conférences et de professeurs des universités. Sur le recrutement des enseignants-chercheurs en psychologie, voir ce précédent article (2017) et celui-là (2019).

[4] Il n’existe pas de nomenclature officielle des sous-disciplines de la psychologie, il en existe plusieurs, à différents niveaux de granularité (jusqu’à 54 divisions au sein de l’American Psychological Association). Nous reprenons ici telles quelles la nomenclature utilisée par la section 16 pour ses statistiques, ainsi que celle reconstituée à partir des profils de poste diffusés par les universités (qui concordent presque).

Dans ces deux nomenclatures, la psychologie clinique est l’une des sous-disciplines de la psychologie. La psychanalyse, en revanche, n’est pas une sous-discipline à part entière, mais plutôt une théorie au sein de la psychologie clinique. Néanmoins, dans le présent article, afin de mieux répondre à la question que nous posons, nous subdivisons systématiquement la psychologie clinique en deux : une catégorie pour le courant psychanalytique, et une autre pour tous les autres courants.