Les évènements publics qui devaient avoir lieu ce printemps ne peuvent évidemment plus se tenir en cette période de confinement. Pour ma part, toutes les conférences que j’avais accepté de donner jusqu’à fin août sont annulées les unes après les autres. Mais généralement, les organisateurs ne se résolvent pas à annuler purement et simplement ce qu’ils avaient prévu : la question posée est plutôt de savoir quand et comment l’évènement pourra finalement avoir lieu.

Certains grands évènements qui demandent une logistique importante, qui étaient prévus de longue date, et ne peuvent se réorganiser dans de courts délais ont d’ores et déjà été reportés d’un an. C’est le cas par exemple du Congrès International de Psychologie à Prague, reporté à l’été 2021. C’est un choix tout à fait défendable.

Matti Blume / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)

Pour beaucoup d’autres, les organisateurs proposent le plus souvent de reporter leur évènement à l’automne. Je suis plus dubitatif. D’une part, parce que des évènements étaient déjà prévus à l’automne. Reporter tout le programme du printemps à l’automne risque de provoquer un embouteillage difficile à gérer. De plus, pour certains évènements, comme les forums étudiants (fournissant informations sur formations et emplois) ou divers salons professionnels, le moment dans l’année où ils se déroulent est crucial : déplacés à une autre période, ils risquent de ne pas bien remplir leur fonction et de ne pas trouver leur public.

Reporter n’est pourtant pas la seule possibilité : l’éducation nationale et l’enseignement supérieur nous en fournissent une démonstration à très grande échelle. Heureusement que tous les enseignants de France et du monde ne reportent pas tous leurs cours du printemps à l’automne ! Dans le master dont je m’occupe, nous assurons 100% de nos cours à distance depuis le 16 mars. Aucune heure de cours n’est perdue ni reportée à l’automne, et pour cause, nous comptons bien pouvoir diplômer nos étudiants à la fin de l’année comme prévu.

On est donc en droit de se demander : pourquoi est-ce que ce qui est possible et qui marche (malgré d’inévitables difficultés) actuellement dans toutes les universités, ne le serait pas pour les conférences, les colloques, les séminaires, les journées d’étude, les formations… ? Pourquoi reporter à l’automne un évènement que l’on peut maintenir à la date prévue, en adaptant le format et les canaux de communication ?

Je ne dis pas que faire cela est facile, changer de mode d’organisation est toujours un effort important, et organiser une visioconférence fiable et de qualité a aussi un coût. Mais organiser un évènement demande toujours des efforts et a toujours un coût : ne pas faire l’évènement en présentiel, c’est aussi économiser beaucoup de temps, d’efforts et d’argent en location de salle, en logistique, en transport, en hébergement, en repas… qui peuvent être réinvestis dans la recherche et la mise en place d’une solution technique satisfaisante pour une tenue en ligne. In fine, organiser un évènement en ligne permet de diminuer considérablement son budget.

C’est d’ailleurs la voie choisie par de grandes conférences scientifiques. La conférence de l’American Physical Society, qui devait accueillir 11000 participants du 2 au 6 mars à Denver, a été annulée à 36 heures du début, et un site web accueille maintenant les vidéos et les diapos envoyées par les participants. La conférence de la Cognitive Neuroscience Society, initialement prévue les 14-17 mars à Boston, est maintenant reprogrammée entièrement en ligne les 2-5 mai. (voir également ce billet)

Alors bien sûr, aucun système de visioconférence ne remplace la qualité du présentiel. Les interactions dans une séance de questions ou autour d’un poster ne sont jamais aussi fluides par écrans interposés. Et bien sûr, boire un verre ou dîner avec des collègues est une excellente manière de joindre l’utile à l’agréable. Malgré tout, les évènements virtuels présentent aussi des avantages. De plus en plus de chercheurs se demandent s’il est bien raisonnable d’aller au bout du monde pour faire une présentation de 20 minutes. Au-delà du temps et du coût financier (aux frais le plus souvent du contribuable) que cela implique, le bilan carbone de tels voyages est de plus en plus présent dans les esprits.

Il y a quelques mois, un chercheur californien invité à parler au colloquium de mon département a accepté, sous condition de pouvoir le faire en visioconférence plutôt qu’en présentiel, argumentant qu’il cherchait à réduire l’impact environnemental de ses activités de recherche. Cela s’est très bien passé et a été très enrichissant, même si nous avons regretté ne pas pouvoir l’inviter au restaurant. Est-ce que le plaisir de dîner avec lui justifiait 2 fois 12 heures de vol, 3-4 jours de voyage fatigant, et les coûts et le bilan carbone associés ?

Un article de Nature recense d’autres effets bénéfiques inattendus de la virtualisation subite de certaines conférences : tout d’un coup, ces conférences sont devenue accessibles à un nombre beaucoup plus grand de chercheurs et d’étudiants (notamment des pays du sud), qui auparavant ne pouvaient y assister, à cause des coûts rédhibitoires du voyage, du séjour, et de l’inscription. Elles sont aussi devenues plus accessibles à des chercheurs en situation de handicap, ou encore à des chercheurs peu mobiles du fait de jeunes enfants ou d’autres personnes à charge.

Si les organisateurs de grandes conférences internationales se posent autant de questions et trouvent que les conférences virtuelles ne sont pas de si mauvaises solutions, pourquoi pas les organisateurs d’évènements plus petits et plus locaux ? Toutes ces considérations restent pertinentes, même dans une France hyperconnectée par un TGV alimenté à une électricité peu carbonée. Etant régulièrement sollicité pour des interventions aux quatre coins de France, je rechigne de plus en plus à sacrifier une journée entière de ma recherche pour aller parler devant quelques dizaines de personnes. Dans bien des cas, je préfèrerais nettement y consacrer deux heures, en visioconférence depuis mon bureau, pour un public potentiellement plus nombreux car libéré des contraintes matérielles des salles et des lieux, avec en prime à l’issue une vidéo de l’intervention propre à être diffusée encore plus largement sur les réseaux. Dans les cas où une intervention similaire existe déjà en vidéo, j’aimerais encore plus envoyer cette vidéo aux participants pour qu’ils la visionnent en amont de l’évènement, et consacrer le temps passé ensemble (soit présentiel, soit par visioconférence) à interagir plus, à répondre à toutes les questions, voire à animer des activités pédagogiques (c’est le principe de la classe inversée). Ainsi, j’aurais l’impression de faire un meilleur usage du temps limité que je peux consacrer à de telles interventions.

Capture d’écran du webinaire du 6/04/2020 de la DITP sur la gestion du COVID19, qui a réuni plus de 700 participants.

Bien entendu, il ne s’agit pas de dire que toutes les conférences et tous les évènements devraient se produire sur internet. Nous continuerons à avoir besoin de rencontres et d’interactions physiques. Mais une gestion rationnelle de nos précieuses ressources que sont le temps, l’attention, l’argent, et l’environnement devrait nous conduire à faire moins d’évènements présentiels, et à transférer une partie de ces activités sur internet. Le mouvement est en marche dans le monde universitaire. La crise du COVID19 nous offre l’occasion de nous y mettre et de tester les nouveaux outils de communication en ligne. Saisissons-la maintenant plutôt que de vouloir continuer à faire comme nous avons toujours fait, mais au semestre suivant.

 

PS du 8/04/2020: cet article donne quelques tuyaux intéressants (en anglais) pour animer une conférence en ligne.