Les débats récents suscités par la diffusion de citations de Françoise Dolto à propos de l’inceste et des viols d’enfant se sont essentiellement centrés sur leur caractère scandaleux, intolérable, et sur le fait qu’ils seraient susceptibles d’excuser les auteurs de crimes pédophiles. Cette réaction est bien entendu compréhensible, mais elle a l’inconvénient d’occulter totalement la question de la véracité des propos de Dolto.

D’une certaine manière, la plupart des commentateurs, emportés par l’émotion, raisonnent sur le mode « c’est tellement scandaleux et immoral que c’est ridicule et nécessairement faux » (et éventuellement qu’il faut censurer de tels propos). Le problème est que c’est une erreur de raisonnement, consistant à confondre les états de fait et les jugements de valeur. Cette confusion est malheureusement fréquente, je l’ai déjà dénoncée dans bien d’autres contextes, par exemple la question des différences cognitives entre les sexes, ou encore des bases biologiques de l’homosexualité.

S’il est important de comprendre toutes les implications morales et judiciaires des propos de Dolto, cela ne doit pas empêcher également de les évaluer de manière objective et dépassionnée.

Car ce qu’a dit Dolto pourrait être vrai. Il pourrait être vrai que les enfants dont elle parle ont véritablement eu des désirs sexuels pour des adultes, et les ont séduits activement, et ont « pris leur pied » au cours de relations sexuelles avec ces adultes. La rigueur et la neutralité scientifique imposent de considérer les affirmations de Dolto comme des hypothèses, qui pourraient être justes comme elles pourraient être fausses. Et si elles étaient justes, quand bien même ces idées nous paraitraient scandaleuses et leurs conséquences nous effraieraient, alors il faudrait bien en tenir compte, à la fois pour notre compréhension de la psychologie humaine, pour nos jugements moraux, et pour les décisions de justice. La question de la véracité factuelle de ce qu’affirme Dolto (et bien d’autres) est donc cruciale.

En psychologie comme dans les autres disciplines, ce que l’on affirme doit être étayé par des preuves, par des données factuelles. Et plus les hypothèses sont extraordinaires, c’est-à-dire en décalage avec les connaissances déjà acquises et l’expérience commune, plus les preuves doivent être fortes pour que l’on puisse les accepter. C’est ce qui distingue la science du charlatanisme ou de la religion. Si une personne a un désir (quand bien même serait-il inconscient), ou éprouve du plaisir, cela doit pouvoir s’observer dans des données factuelles, soit dans ce que la personne dit elle-même de son propre ressenti, soit dans son comportement qui manifeste ce ressenti de manière non ambigüe. Or, quelles preuves Dolto apporte-t-elle de ces désirs sexuels, de ces tentatives de séduction, de ce plaisir ressenti qu’elle attribue aux enfants ? On peut parcourir ses livres et les transcriptions de ses entretiens en long et en large, on n’en trouve strictement aucune. Dolto se contente d’asséner ce qu’elle croit vrai, ce qu’elle imagine et qui fait sens pour elle, dans le cadre interprétatif des dogmes freudo-lacaniens.

Comme je le rappelle dans mon précédent article, il n’y a pas que sur le viol d’enfants que Dolto a dit des énormités. Cette manière d’affirmer sans preuve des hypothèses extraordinaires s’est exercée très largement pour tenter d’expliquer tous les troubles et difficultés de l’enfant et de ses parents.

Si encore Françoise Dolto était la seule à affirmer n’importe quoi sans preuve. Le problème, c’est que jusqu’à ce jour elle est en bonne compagnie, car c’est le mode opératoire habituel de la psychanalyse, d’affabuler des interprétations sans jamais fournir la moindre preuve factuelle de ce qui est affirmé, et sans jamais prendre en considération des interprétations alternatives plus simples et beaucoup plus convaincantes des mêmes observations.

Alors, quelles leçons peut-on tirer de l’affaire Dolto ?

Premièrement, que jusqu’à preuve du contraire, ce qu’elle dit est faux. Concernant les enfants dont elle parlait, ni elle ni personne d’autre n’a jamais apporté la moindre donnée factuelle qu’ils avaient des désirs sexuels pour des adultes, les ont provoqués, et ont « pris leur pied ». Concernant la formulation plus générale de l’hypothèse, selon laquelle tous les enfants auraient des désirs sexuels (inconscients ou pas) pour le parent de sexe opposé, ou pour des adultes en général, même si l’on ne peut exclure l’existence de cas particuliers, ces hypothèses sont très peu plausibles, compte tenu à la fois de l’expérience que chacun a de sa propre enfance, des preuves inexistantes et de toutes les connaissances accumulées à ce jour en psychologie de l’enfant. Ce genre de théorie n’est plus enseigné que dans les facultés de psychologie françaises et argentines, et est vu comme une aberration par les psychologues du reste du monde.

Deuxièmement, que c’est seulement parce que ce qu’elle dit est faux qu’on peut se permettre de ne pas en tenir compte d’un point de vue moral et juridique. Encore une fois, il est important de ne pas confondre les faits et les valeurs.

Troisièmement, que le problème n’est pas restreint à ce qu’a dit Françoise Dolto, ni au seul sujet du viol d’enfants. Comme le scandale de l’autisme il y a quelques années, Dolto n’est qu’un révélateur d’un problème bien plus vaste affectant toute la psychiatrie et la psychologie de l’enfant : c’est le problème de l’influence indue de la psychanalyse et de ses théories invraisemblables ne reposant sur rien. Il est temps que cette manière fantaisiste et charlatanesque de discourir sur la psychologie humaine perde son influence démesurée, pas seulement dans les cas que tout le monde trouve scandaleux, mais dans tous les cas où ces théories absurdes influencent les pratiques des professionnels de la petite enfance, la prise en charge des personnes avec troubles mentaux, ainsi que des décisions de justice.

Post-scriptum

Peut-on encore conserver 138 écoles au nom de « Françoise Dolto », connaissant ses propos sur l’inceste, la pédophilie et le viol d’enfants ? La question est posée, et une pétition est ouverte pour demander leur changement de nom.