Mystère de la fragilité raconte le parcours d’une famille dont un enfant a la maladie des os de verre, et son combat pour obtenir que cet enfant puisse suivre une scolarité à la mesure de ses capacités intellectuelles. Ce livre mérite d’être lu pour de multiples raisons. Je n’en ferai pas une recension complète ici, mais on peut en trouver sur d’autres sites. Je souhaite ici mettre en exergue deux points du livre qui résonnent particulièrement avec les thèmes qui me sont chers.

Le premier point qui m’a frappé, c’est que cette famille non plus n’a pas échappé aux méfaits de la psychanalyse. L’exemple le plus édifiant décrit par Isabelle Mordant est celui de sa visite chez un psychomotricien recommandé par le CHU :

Le psychomotricien me demande d’asseoir Thomas par terre dans son cabinet. Je balaie la pièce du regard. J’y vois des coussins de toutes formes, de toutes tailles, de tous matériaux, de toutes couleurs. J’en choisis trois, assez volumineux, que je dispose en arc de cercle, avant d’installer Thomas devant ce dossier improvisé. (…) Le psychomotricien m’observe attentivement le temps que je procède à cet aménagement.

– Maintenant je vais vous demander de sortir et de me laisser seul avec Thomas. Quand un enfant d’un an ne tient pas fermement assis, cela vient de difficultés dans sa relation avec sa mère.

J’avale ma salive. Si Thomas ne progresse pas aussi vite qu’un autre enfant, c’est parce qu’il est malade et fragile, comme je le lui ai expliqué dès le début de la consultation. Cela n’a rien de psychologique.

– L’homme est vertical. Celui qui ne tient pas debout n’est pas un homme, assène-t-il d’un ton pompeux.

Qu’est-ce que c’est que cet olibrius ? Les personnes tétraplégiques, les enfants myopathes ne font-ils pas partie à ses yeux du genre humain ? Considère-t-il ses patients comme des animaux ? Sans attendre davantage, je règle la séance, bien décidée à ne jamais lui ramener Thomas.

La réaction d’Isabelle Mordant est celle d’une personne instruite, intelligente, dont la situation de vulnérabilité liée à la maladie de son enfant n’a pas aboli le bon sens, et qui de plus a les moyens de payer une séance pour rien. On ne peut s’empêcher de penser aux nombreuses familles qui ne disposent pas de telles ressources, sur qui de tels professionnels de santé exercent une autorité absolue, et qui n’ont pas les moyens d’en chercher d’autres. Un autre exemple :

Quand Thomas avait 5 ans, une psychologue est entrée dans sa chambre d’hôpital et m’a trouvée en train de lui faire manger un yaourt avec une petite cuillère. Sans observer plus en détail la scène, elle a poussé de hauts cris : à cinq ans, un enfant doit manger seul. C’était habituellement le cas de Thomas. Mais à ce moment précis, il avait les deux bras cassés : étais-je censée, pour respecter les conventions, le laisser mourir de faim jusqu’à ce qu’il puisse à nouveau utiliser ses mains ?

Même si ces professionnels sont particulièrement caricaturaux, il est frappant de voir tout au long du récit que l’attitude du corps médical et de l’aide sociale à l’enfance est tout aussi imprégnée de cette suspicion systématique induite par la grille de lecture psychanalytique. Car pour la psychanalyse, si un enfant va mal, c’est toujours de la faute des parents, et en particulier de la mère, toujours trop « fusionnelle », jamais « suffisamment bonne ». Voir à ce sujet le documentaire Maternophobie de Sophie Robert. De nombreux parents ont témoigné d’épisodes similaires (et de bien pires) et peuvent encore le faire sur cette page.

Le second point qui transparait tout au long du livre, c’est la perpétuelle difficulté à scolariser normalement un enfant en situation de handicap, avec des aménagements adaptés et une aide humaine compétente lorsque nécessaire. C’est vrai pour les élèves à mobilité réduite comme Thomas, c’est vrai aussi des élèves avec des troubles cognitifs (autisme, TDAH, troubles dys…). Alors que depuis la loi de 2005 l’inclusion est la règle, l’institution y oppose des procédures complexes et répétitives et une espèce de mauvaise volonté constante, auxquelles seules les familles les mieux armées peuvent répondre, en faisant valoir leurs droits y compris jusqu’au tribunal. Même si l’honnêteté oblige à reconnaître que l’Education Nationale a beaucoup progressé depuis 2005, beaucoup de personnels continuent à considérer que les enfants en situation de handicap n’ont rien à faire à l’école, ou en tous cas dans leur classe. Pour éviter que d’hypothétiques fraudeurs n’obtiennent des avantages indus, on empêche des enfants qui y ont droit d’accéder à une scolarité adaptée. Entre l’éducation pour tous et une équité mythifiée, l’institution continue à pencher en faveur de la seconde.

Il ne s’agit que de deux points que j’ai choisi de mettre en relief, mais le livre Mystère de la fragilité est un témoignage riche en enseignements que je laisse au lecteur le soin de découvrir.