Droit de réponse refusé par Radio France:

Dans votre article intitulé « Écrans et enfants : quand la recherche publique flirte avec les intérêts privés », publié le 13/06/2025 et dans votre émission intitulée « Écrans éducatifs et sciences cognitives : comment la big tech investit l’école » diffusée le 14/06/2025, il a été insinué que mes interventions publiques sur les écrans et l’enfant étaient motivées par des liens d’intérêt avec des entreprises du numérique. C’est tout à fait faux.

Les procédés de cette « enquête » sont typiques du journalisme d’insinuation : faute d’avoir découvert des faits compromettants, on juxtapose des faits insignifiants, et on laisse l’auditeur imaginer des liens hypothétiques, le tout sur un ton complotiste… C’est ainsi que le reportage diffuse implicitement le narratif de chercheurs corrompus par des entreprises dans le but de minimiser les risques des écrans et de favoriser leur implantation dans les écoles. Mais il s’abstient de formuler ce narratif explicitement, et pour cause, aucun des éléments de l’enquête ne permet d’établir de tel faits.

Me concernant spécifiquement :

  • Je ne perçois pas et n’ai jamais perçu aucune rémunération d’une entreprise du numérique. Je n’ai jamais reçu non plus de subvention de recherche d’une entreprise du numérique. Je publie en toute transparence une déclaration d’intérêts à la fois sur mon blog et sur le site du ministère de la santé.
  • Je communique publiquement sur les effets des écrans sur l’enfant en toute indépendance, dans le seul but de mieux éclairer les débats sur les enjeux du numérique par une meilleure connaissance et une meilleure compréhension des résultats scientifiques sur le sujet.
  • J’ai collaboré une fois avec une entreprise du numérique nommée Didask, dans le cadre du projet Parcours Connectés financé par le programme E-Fran du Programme d’investissements d’avenir (2016-2019). Ce projet n’impliquait aucun financement de la part de Didask, et n’a créé aucun lien d’intérêt entre Didask et moi.
  • J’ai fait héberger pendant plusieurs années les données d’un projet sur un serveur du LSCP géré par l’une de ses équipes. Ces données étaient sur une partition cryptée de ce serveur sécurisé. Seuls les membres de mon équipe travaillant sur ce projet avaient accès à cette partition et disposaient du mot de passe. Mon équipe a contribué à ce service sous la forme d’achat de matériel informatique. Ce service n’a donc créé aucun lien d’intérêt entre moi et qui que ce soit d’autre.
  • En conclusion, la mention de mon nom dans ce reportage est totalement trompeuse, rien dans mes actions de recherche ou de communication ne venant à l’appui du narratif de collusion avec des intérêts privés.

Par ailleurs, je tiens à dénoncer les procédés peu déontologiques de Marie Dupin:

  • La sollicitation initiale d’entretien était pour “une enquête sur enfants et écrans”, mais l’entretien a presque exclusivement porté sur mes liens supposés avec des entreprises du numérique. Cette sollicitation était donc trompeuse et déloyale.
  • De fait, le fond du sujet “enfants et écrans” n’intéressait aucunement la journaliste, dont l’opinion était déjà faite. J’ai tout de même réussi à prendre 5 minutes pour lui expliquer les résultats de la méta-analyse de Madigan et al. (2021) montrant que les effets de l’exposition aux écrans sur le langage de l’enfant étaient tantôt négatifs, tantôt positifs, selon la nature des contenus et des usages. Ces explications ne sont pas évoquées dans le reportage, et n’ont pas non plus atténué les affirmations sans nuance concernant “les écrans nocifs pour les jeunes”.
  • Cette enquête a été menée à charge, en se focalisant exclusivement sur les potentiels conflits d’intérêt de certains chercheurs, en ignorant toutes les bonnes raisons scientifiques qu’ils pouvaient avoir de tenir le discours qu’ils tiennent sur les écrans, et en refusant d’enquêter de manière symétrique sur les conflits d’intérêt que pouvaient avoir les personnalités qui diffusent un discours alarmiste sur les écrans. Il y avait pourtant de quoi dire : Ces personnes vendent en effet des livres (La fabrique du crétin digital, Les tout-petits face aux écrans, L’enfant-écran, Ecrans, un désastre sanitaire), des conférences et des formations payantes sur les dangers des écrans, et ont donc un intérêt financier objectif à propager ce discours. A l’inverse, je ne vends ni livre, ni conférences ou formations payantes, et ne tire aucun avantage financier de mes communications sur les écrans. Ces éléments ont été présentés à Marie Dupin, qui a choisi de n’en tenir aucun compte.
  • Pour étayer sa thèse, Marie Dupin a exigé de nombreuses justifications de ma part, y compris l’obtention de documents confidentiels auxquels elle n’était pas en droit d’accéder. Elle a de plus envoyé de très nombreuses demandes d’information et de justification auprès des institutions dont je dépends, de mes collaborateurs et co-auteurs, d’éditeurs de revues, et de consortiums dont j’utilise les données. Ces messages, mettant implicitement ou explicitement en cause mon intégrité scientifique, s’apparentaient dans un certain nombre de cas à des messages de délation plus qu’à des demandes d’information. Dans au moins un cas, Marie Dupin a partagé, sans mon autorisation, l’enregistrement de notre entretien avec l’un de ces partenaires. Ces agissements me semblent donc manifester non seulement une recherche d’information mais également une intention de nuire à ma réputation.

Au final, cette « enquête » découvre la Lune : que l’État subventionne l’industrie et promeut les liens entre recherche publique et privée, ce qui n’est ni secret ni nouveau, mais parfaitement public et assumé depuis des décennies. Dans ce contexte, de nombreux chercheurs collaborent avec des entreprises privées dans le cadre de projets de recherche, ou sollicitent des financements privés pour compléter le financement public de leurs recherches. Cela n’implique pas pour autant qu’ils soient naïfs quant aux objectifs de ces entreprises, ni qu’ils soient soumis à leurs intérêts. Ceux d’entre eux qui pratiquent la communication scientifique auprès du gouvernement et/ou du grand public le font en tout indépendance, et en se référant rigoureusement aux études scientifiques, dont les résultats sont souvent ignorés ou interprétés de manière incorrecte dans les débats publics sur les écrans.

Franck Ramus, le 18 juin 2025.