[Version intégrale d’un article publié dans Les grands dossiers des Sciences Humaines, n°50, mars-avril-mai 2018.]

Le débat sur les différences cognitives et cérébrales entre les sexes est parsemé d’embûches. Dans ce chapitre, nous ne reviendrons pas sur les nombreuses données disponibles concernant les différences entre les sexes et leurs origines. Il existe de multiples ouvrages et articles fiables que le lecteur intéressé pourra consulter (Becker et al., 2008; Berenbaum & Beltz, 2016; Halpern, 2012; Hines, 2004; Hyde, 2014), ainsi que des tentatives de réfutations (Fine, 2010, 2017; Jordan-Young, 2016) et des contre-arguments (Berenbaum, 2017; McCarthy & Ball, 2011). Ici, nous nous focaliserons plutôt sur les principaux écueils de ce débat et nous nous efforcerons de délimiter les conditions d’un débat plus serein et plus rationnel.

L’exagération

Dans le débat sur les différences entre les sexes, l’écueil le plus fréquemment rencontré est sans aucun doute l’exagération. A son paroxysme, c’est le discours « les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus », qui tend à suggérer que les deux sexes seraient qualitativement différents dans leurs aptitudes cognitives, tout autant que dans leurs organes génitaux. Dans une version plus modérée, ce problème affecte beaucoup de comptes-rendus journalistiques sur les différences entre les sexes, qui omettent le plus souvent de relativiser ces différences par rapport aux différences individuelles que l’on peut observer au sein de chaque sexe. Faire cet exercice consiste à estimer une statistique que l’on appelle la taille d’effet de la différence.

Quel que soit le trait que l’on considère, mesuré de manière quantitative, ce trait a une distribution au sein de la population. Dans certains cas, la distribution des scores des hommes est légèrement décalée par rapport à celle des scores des femmes : c’est dans ces cas que l’on peut évoquer une différence entre les sexes. Estimer la taille d’effet de cette différence, c’est rapporter le décalage entre les distributions des deux sexes à la variabilité (l’étalement) de ces distributions. Plus la différence est faible, et plus les distributions sont étalées, plus les deux distributions se recouvrent. En pratique la taille d’effet d’une différence peut se mesurer à l’aide d’une statistique appelée d de Cohen, qui rapporte la différence des moyennes à l’écart-type combiné des deux distributions. Un d égal à 1 correspond donc à une différence d’un écart-type entre les deux distributions. Pour donner un ordre d’idée, la différence de taille entre les hommes et les femmes correspond à une valeur d de 2 (cf. Figure 1). En dehors de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle, les différences cognitives entre les sexes ont une taille inférieure à 1, et bien souvent à 0.5. Il en résulte que, quelle que soit la fonction cognitive que l’on considère, lorsque les distributions des scores des hommes et des femmes ne sont pas totalement identiques, elles se recouvrent largement (Gauvrit & Ramus, 2014b).

Il est donc faux que les hommes et les femmes soient qualitativement différents sur le plan cognitif, comme peuvent le laisser entendre certains livres grand public, certains médias et de nombreux lieux communs. Il en est de même au niveau cérébral : les cerveaux masculins et féminins ne sont pas qualitativement différents, même si de nombreuses petites différences existent (voir ci-dessous).

Figure 1. Exemples de distributions de scores différant de 2 (trait gris) et de 0.5 écarts-types (trait pointillé) par rapport à une distribution de référence (trait noir plein). L’axe des abscisses représente la grandeur mesurée en unités standardisées (écarts-types de la population), et l’axe des ordonnées représente la proportion ou l’effectif de la population possédant un score donné.

 

La négation

Le travers opposé à l’exagération des différences entre les sexes est bien entendu leur négation. C’est un discours qui se développe essentiellement en réaction au premier, et qui, au lieu de prendre le parti de vérifier dans la littérature scientifique ce qu’il en est de chaque différence, et de corriger les exagérations, prend le parti de nier en bloc toute différence cognitive ou cérébrale entre les sexes (par exemple Vidal, 2001, 2007, 2008, 2011; Vidal & Benoït-Browaeys, 2005; pour une critique, voir Gauvrit & Ramus, 2014b).

Ce discours n’est pas plus acceptable que le premier, car dans la mesure où il existe des données scientifiques claires montrant des différences entre les sexes, c’est autant déformer la réalité de les nier que de les exagérer.

Par exemple, il n’est pas correct d’affirmer qu’ « Il est impossible de deviner, en regardant un cerveau adulte, s’il appartient à un homme ou une femme » (Soullier, 2013), dans la mesure où de nombreuses différences neuroanatomiques entre les sexes ont été documentées, y compris dans des études à grande échelle comprenant des milliers d’individus (Joel et al., 2015), et synthétisées dans des méta-analyses (Ruigrok et al., 2014). S’il est vrai qu’il est impossible de distinguer des cerveaux masculins et féminins à l’œil nu (hormis la différence moyenne de volume qui permet déjà de les distinguer un peu mieux qu’au hasard), des analyses de classification tirant parti d’un grand nombre de propriétés cérébrales quantifiées et comparées montrent qu’il est parfaitement possible de deviner le sexe d’un cerveau avec un niveau de précision important (cf. ci-dessous).

Le nativisme

Le biais le plus souvent associé à l’exagération est celui du nativisme, une position consistant à considérer que les caractères d’une personne sont de manière générale fixés dès la naissance. Ainsi, les différences observées à l’âge adulte (y compris entre les sexes) découleraient nécessairement de différences présentes dès la naissance.

Le nativisme constitue donc une réponse dogmatique à la question de savoir quelles sont les origines des différences observées entre hommes et femmes. La réponse proposée est que ces différences sont nécessairement le fruit d’influences génétiques et biologiques précoces, et n’ont rien à voir avec la culture et l’environnement social. C’est évidemment une réponse possible, potentiellement correcte pour certaines différences, mais en avoir la certitude nécessiterait des données scientifiques particulièrement solides et convergentes, ce qui n’est généralement pas le cas. De fait, la position nativiste ne s’embarrasse généralement pas de données et se présente simplement comme « évidente ».

Le socioconstructivisme

On peut mettre au crédit des études de genre la mise en évidence des nombreux biais existant dans notre environnement social, définissant des rôles masculins et féminins stéréotypiques, et induisant les individus, y compris dès le plus jeune âge à s’y conformer. La mise en évidence de tous ces biais a le mérite de montrer que la position nativiste n’a rien d’évident. Pour quasiment toutes les différences cognitives entre les sexes, on peut trouver des facteurs dans l’environnement qui seraient susceptibles de participer, au moins partiellement, à l’émergence de ces différences.

Dans le contexte des différences cognitives entre les sexes, le socioconstructivisme consiste à postuler que toutes ces différences sont entièrement le fruit de biais environnementaux influençant l’enfant dès le plus jeune âge. C’est donc une position symétrique par rapport au nativisme, et tout aussi dogmatique. De fait, elle s’appuie tout aussi peu sur des données solides et convergentes.

En opposition au nativisme, le socioconstructivisme s’appuie sur une conception de l’être humain que l’on pourrait surnommer le « pâte-à-modélisme », version moderne de l’empirisme selon laquelle le cerveau humain serait à la naissance une bouillie informe sans aucune contrainte ni prédisposition, ardoise vierge sur laquelle l’environnement pourrait imprimer sans limite. Ce pâte-à-modélisme trouve toute son expression dans les odes récurrentes à la plasticité cérébrale, louée comme une révolution et imaginée comme infinie et sans contrainte (par exemple: Vidal, 2013). Mais comme nous l’avons déjà souligné, la possibilité d’observer à l’IRM des modifications cérébrales consécutives à des expériences ou à des apprentissages ne nous a strictement rien appris sur la possibilité de tels apprentissages, ni sur la capacité de l’être humain à changer, que nous ne savions déjà auparavant (Gauvrit & Ramus, 2014b). Et la plasticité cérébrale est loin d’être illimitée, elle est au contraire fortement contrainte, à la fois par l’architecture cérébrale préexistante et par les mécanismes génétiques qui la mettent en œuvre (Ramus, 2006).

Dans le contexte des différences entre les sexes, la plasticité cérébrale est typiquement invoquée de la manière suivante : si une différence cognitive ou cérébrale est observée entre les sexes, elle pourrait tout aussi bien résulter de la combinaison d’expériences différentes et de la plasticité cérébrale. Donc elle n’est pas le fruit de facteurs biologiques précoces. Ainsi on passe d’une simple éventualité à l’affirmation d’un scénario causal, sans même avoir besoin d’apporter des données probantes.

En fait, c’est une chose de mettre en évidence des différences d’expérience et des biais dans l’environnement : les garçons et les filles, de toute évidence, ne sont pas traités de la même manière, et ne sont pas exposés aux mêmes stimulations, et ce à partir d’âges relativement précoces (Valian, 1999b). Personne ne songe à le nier. C’est une autre chose que de prouver que ces biais ont un effet tangible sur les aspects pertinents du développement cognitif de l’enfant. Et c’est encore tout autre chose que de prouver que ces biais sont seuls responsables des différences cognitives entre les sexes. A ce niveau, il n’existe pour ainsi dire aucune donnée probante.

La position socioconstructiviste reflète donc essentiellement une croyance, peu étayée, dans le fait qu’il existe un lien de causalité unidirectionnel depuis les biais sexués existant dans l’environnement social vers les différences cognitives entre les sexes. Cette position, plutôt que se nourrir de données positives établissant les liens de causalité postulés, se nourrit essentiellement de la critique des études mettant en évidence l’effet de facteurs biologiques précoces. Ces critiques, parfois parfaitement légitimes, emploient malheureusement souvent des arguments qui laissent à désirer et que nous incluons parmi les écueils discutés ci-après. Mais surtout, quand bien même elles sont justifiées, ces critiques ne fournissent en soi aucune preuve des liens de causalité postulés par la position socioconstructiviste. C’est néanmoins aux partisans de cette position qu’incombe la charge de la preuve de ces liens de causalité.

On peut remarquer que les positions nativistes et socioconstructivistes partagent le fait de se situer aux extrêmes d’un continuum théorique, considérant les différences entre les sexes comme soit totalement innées, soit totalement acquises. Or une telle dichotomie est totalement obsolète, aucune caractéristique humaine n’étant totalement innée ni totalement acquise (Ramus, 2012). Quel que soit le trait considéré, les recherches scientifiques mettent en évidence des contributions génétiques et biologiques précoces, tout comme des contributions sociales, et des interactions complexes entre les facteurs biologiques et sociaux (cf. par exemple Ramus, 2007). C’est dans ces termes que devrait se poser toute question relative aux différences entre les sexes.

L’homme de paille

Un artifice courant consiste à s’opposer à une position extrême, à démontrer son absurdité, et à s’en servir pour défendre une position alternative. Le problème réside dans le fait que bien souvent personne (ou en tous cas personne de compétent sur le sujet) ne défend cette position extrême, et que le fait de la rejeter n’implique pas de rejeter une position plus modérée, et ne fournit pas une preuve de la validité de la position alternative proposée.

Pour donner un exemple, un article scientifique récent a évalué l’hypothèse selon laquelle il y aurait un « dimorphisme sexuel » du cerveau chez l’humain (Joel et al., 2015), défini par les auteurs comme une distinction catégorielle, qualitative, entre le « cerveau masculin » et le « cerveau féminin ». Les auteurs définissent un critère ad hoc pour évaluer le dimorphisme sexuel, l’appliquent à de grandes bases de données d’images de cerveaux masculins et féminins acquises par IRM, et concluent qu’il y a un large recouvrement entre les deux sexes et que le cerveau humain ne montre pas de dimorphisme sexuel.

Quels problèmes posent cet argumentaire ? Premièrement, l’hypothèse de deux catégories distinctes « cerveau masculin » et « cerveau féminin » n’existe pas dans la littérature scientifique (les auteurs ne citent d’ailleurs aucune référence scientifique comme source de cette hypothèse). Il s’agit d’une fiction existant sans aucun doute dans l’imaginaire de bien des gens, et à ce titre il est légitime de vouloir la contrer dans les médias grand public, mais quel intérêt y a-t-il à publier une étude scientifique à grands renforts d’IRM dans une revue prestigieuse pour réfuter une hypothèse à laquelle aucun scientifique ne croit et démontrer finalement quelque chose de trivial ? Il s’agit bien là d’un exercice purement rhétorique. Deuxièmement, comme je l’ai souligné dans un billet de blog, le critère choisi par les auteurs pour évaluer le dimorphisme sexuel est très contestable, puisque même appliqué aux organes génitaux il donnerait un résultat insatisfaisant (Ramus, 2015). La conclusion de l’article est donc totalement cousue de fil blanc et n’apprend rien à personne (qui soit capable de lire cet article).

Pourtant, avec les mêmes données en main, les auteurs auraient pu faire des analyses bien plus pertinentes. Ils auraient pu tenter de répondre, mieux que toute autre étude précédente, à la question de savoir dans quelle mesure il est possible de deviner, en regardant un cerveau adulte, s’il appartient à un homme ou une femme (Soullier, 2013). En faisant des analyses de classifications multivariées sur l’ensemble des cerveaux à leur disposition, ils auraient immanquablement démontré qu’il est possible de classifier les cerveaux en fonction de leur sexe avec un haut degré de précision (70 à 80% de classification correcte), comme l’ont montré depuis plusieurs études (Chekroud et al., 2016; Del Giudice et al., 2016; Rosenblatt, 2016; voir aussi Sabuncu et al., 2016).

Le paralogisme naturaliste

Un autre écueil récurrent dans ce débat est la confusion entre les états de fait et les jugements de valeur. Le paralogisme naturaliste consiste à penser que ce qui est naturel est nécessairement bon, et constitue le meilleur modèle possible pour la société. Ainsi, de la constatation de différences entre les sexes, attribuables à des différences biologiques précoces (état de fait), certains déduisent que ces différences sont « naturelles » et par conséquent qu’il ne faut pas s’y opposer : il faudrait au contraire en faire le modèle à reproduire dans la société (jugement de valeur). Ce qui conduit typiquement à vouloir différencier les activités en fonction du sexe : les femmes au foyer et dans les activités de soin, les hommes dans les activités professionnelles physiques, prestigieuses ou rémunératrices. Il y a de bonnes raisons de penser que la faible représentation des femmes et les discriminations et biais dont elles continuent de faire l’objet dans nombre de secteurs d’activité sont au moins en partie l’héritage de ce mode de pensée.

Il est aisé de démontrer l’absurdité du paralogisme naturaliste. La nature n’est pas intrinsèquement bonne : tous les poisons et toutes les maladies sont dans la nature. Dans le domaine cognitif et moral, l’esprit humain a de nombreuses prédispositions « naturelles », mais il ne s’ensuit pas que leurs effets soient nécessairement bons. Un exemple non controversé est l’appétence naturelle des humains pour le gras et le sucre, qui a été sélectionnée à juste titre dans un environnement nutritif pauvre, mais qui cause plus de tort que de bien à la santé humaine dans les sociétés d’abondance contemporaines. Pour donner un autre exemple plus controversé dans le domaine cognitif, les humains (comme bien d’autres espèces animales) possèdent certaines motivations et certains instincts profondément ancrés qui peuvent favoriser les comportements violents envers leurs congénères. De ces prédispositions « naturelles », il n’y a pas lieu de déduire qu’il est bon ou acceptable d’être violent. De même, les humains ont une tendance spontanée à préférer leurs apparentés aux autres personnes (ce qui s’explique parfaitement du point de vue évolutionniste par la sélection de parentèle), mais il ne s’ensuit pas que le népotisme soit une pratique acceptable dans les recrutements. Les prédispositions humaines sont ce qu’elles sont (état de fait). Indépendamment de cela, les êtres humains sont libres de définir la société dans laquelle ils ont envie de vivre, et dans ce but, de promouvoir les comportements qui y concourent et de sanctionner ceux qui la mettent en péril (jugement de valeur), quand bien même certains de ces comportements ont été sélectionnés au cours de notre évolution. C’est ainsi que toutes les sociétés humaines ont établi des règles permettant de contrôler la violence (au moins à l’intérieur du groupe) et de favoriser une forme de justice. La nature est une chose, les valeurs en sont une autre. Il est d’autant plus absurde de penser que « la nature fait loi » que la plupart des lois humaines ont été conçues précisément de manière à contenir des tendances « naturelles » des comportements humains.

Par conséquent, le fait d’observer des différences « naturelles » entre les sexes ne doit pas conduire à considérer que ces différences sont bonnes et auraient une valeur prescriptive. Par exemple, il y a de bonnes raisons de penser que les hommes sont « naturellement » plus enclins à la violence que les femmes, mais cela ne justifie en rien leur violence ni leur domination sur les femmes. Ces différences entre les sexes étant constatées, on est tout autant fondé à vouloir instaurer des règles limitant la violence et protégeant particulièrement les femmes.

De la même manière, s’il s’avérait[i] que les hommes ont, en moyenne, des capacités cognitives qui les prédisposent aux activités mécaniques ou d’ingénierie un peu plus que les femmes, et que les femmes ont, en moyenne, des capacités d’empathie qui les prédisposent aux activités de soin plus que les hommes, il ne s’ensuivrait pas que ces différentes professions doivent être réservées à tel ou tel sexe, ni qu’il soit moralement justifié pour un employeur de discriminer un sexe au profit de l’autre. Au contraire, l’observation de l’existence de telles différences, et du fait que leur connaissance conduit à des discriminations, peut légitimement conduire à instaurer des politiques visant à empêcher de telles discriminations.

Le paralogisme naturaliste et toutes ses applications doivent donc être résolument rejetés[ii], en faveur d’une dissociation claire et nette entre les faits, qui doivent être établis par la méthode scientifique, et les valeurs, qui doivent être débattues et négociées entre les citoyens.

Le paralogisme moraliste

Malheureusement, le paralogisme naturaliste est rarement dénoncé en tant que tel à l’appui de la lutte contre le sexisme. Le discours féministe semble au contraire le plus souvent implicitement adhérer au paralogisme naturaliste (« s’il existait des différences fiables, elles auraient une valeur prescriptive »), et au lieu d’en démontrer l’absurdité, s’évertue à en nier la prémisse : le fait qu’il existe des différences cognitives « naturelles » entre les sexes (Gauvrit & Ramus, 2014a). Ce qui conduit inéluctablement à la négation et au socioconstructivisme. Ainsi, l’adhésion implicite au paralogisme naturaliste conduit au paralogisme moraliste, qui consiste à affirmer que le monde est conforme à ce que nous trouvons moralement bon. Dans ce raisonnement, le monde serait tellement insupportable et injuste pour les femmes si des différences entre les sexes existaient, qu’il ne peut pas y en avoir. Cela revient finalement à prendre ses désirs pour des réalités[iii].

Le procès d’intention

Une conséquence malheureuse du paralogisme naturaliste consiste à imaginer que les chercheurs qui documentent des différences cognitives entre les sexes adhéreraient eux-mêmes à ce paralogisme, et qu’ils penseraient donc que les différences mises en évidence prescrivent une norme sociale. On ne peut exclure que ce soit effectivement le cas pour certains d’entre eux, néanmoins l’accusation est bien peu plausible pour la plupart des scientifiques, qui sont parfaitement capables de distinguer entre le vrai et le bon. Autrement dit, ce n’est pas être sexiste que de décrire des différences entre les sexes ou d’en étudier les origines précoces. En tout état de cause, il n’y a pas lieu d’attribuer aux gens des intentions qu’ils n’expriment pas. Les éventuelles accusations de sexisme ou de conservatisme doivent être fondées sur des déclarations non ambigües des intéressés, plutôt que sur des intentions ou des attitudes imaginées. Il n’y a pas « d’agenda caché » derrière les recherches sur les différences entre les sexes, et il n’y pas lieu de s’opposer à l’existence même de telles recherches.

Dans le même esprit, il n’y a pas lieu de décrédibiliser les travaux de chercheurs au seul motif qu’ils seraient biaisés par la croyance en des différences cognitives précoces entre les sexes. Un tel argument pourrait tout autant être retourné contre les chercheurs adhérant au socioconstructivisme. Chaque chercheur travaille sur la base d’hypothèses qui lui sont propres, mais il n’y a pas de raison de supposer que cela abolit totalement son discernement (jusqu’à preuve du contraire), et que tous ses travaux devraient par conséquent être ignorés. Les travaux doivent simplement être jugés pour ce qu’ils sont, sur la base de leur méthodologie et des données présentées.

La peur du déterminisme

Une variante du paralogisme naturaliste consiste à croire que, sous prétexte qu’un comportement serait influencé par des facteurs génétiques ou biologiques précoces, la responsabilité de son auteur en serait diminuée (parce que ces facteurs biologiques sont de nature déterministe). Cet argument est souvent invoqué dans les débats sur le viol : certains pensent que, s’il s’avérait que des prédispositions affectant les motivations sexuelles et les comportements violents de l’homme fournissaient un terreau « naturel » favorable au viol dans certaines circonstances, alors cela fournirait une justification au viol, et cela serait de nature à diminuer la responsabilité pénale des auteurs de viol, ce qui serait inacceptable. Certains préfèrent alors nier toute prédisposition et invoquer une « culture du viol » (Herman, 1988) comme l’unique facteur favorisant le viol, imaginant d’une part que la culture ne diminue pas la responsabilité autant que les facteurs biologiques précoces, et espérant d’autre part qu’il suffise d’éradiquer cette culture pour faire disparaître le viol.

Outre le fait qu’il s’agit encore d’un cas de paralogisme moraliste conduisant à la négation des différences, cet argument reflète également une incompréhension des mécanismes participant à la détermination du comportement humain. Les facteurs biologiques précoces ne sont pas de nature intrinsèquement plus déterministe que les facteurs environnementaux, et ne sont pas plus de nature à diminuer la responsabilité que les facteurs environnementaux (Pinker, 2002; Ramus, 2011). Après tout, si c’est l’éducation sexiste donnée aux garçons qui favorise le viol, qu’est-ce que cela change[iv] ? Les garçons ne sont pas plus responsables de l’éducation qu’ils ont reçue et de la culture dans laquelle ils baignent que des gènes qui leur ont été transmis. Et leur comportement peut être tout aussi fortement conditionné par des influences psychosociales que par des facteurs biologiques précoces. L’excuse « c’est la faute de mon éducation sexiste » ou « c’est la faute de la culture du viol » est donc tout aussi disponible que « c’est la faute de mes gènes » ou « c’est la faute de mon taux de testostérone ». Mais ni les unes ni les autres ne sont recevables. Une explication n’est pas une justification. Les causes des comportements des violeurs sont ce qu’elles sont. Quelles qu’elles soient, cela n’empêche aucunement la société de décider que le viol est inacceptable et condamnable.

Ce que la nature de la cause change dans l’esprit de beaucoup de gens, c’est l’intuition que si la cause est culturelle, elle peut être modifiée, alors que si elle est biologique précoce, elle ne peut pas l’être (et la première possibilité semble préférable, encore un avatar du paralogisme moraliste). Pourtant, les conditionnements culturels précoces peuvent être extrêmement puissants et difficiles à inverser : on peut par exemple penser aux croyances religieuses et superstitions acquises pendant l’enfance, dont il est extrêmement difficile de se défaire par la suite, aux habitudes alimentaires (en particulier les dégoûts acquis via les tabous alimentaires imposés), et plus généralement aux habitudes acquises dans de nombreux domaines. Par ailleurs, il est faux que, sous prétexte que des comportements seraient influencés par des facteurs biologiques précoces, il serait impossible de les modifier. A défaut de remonter le temps pour défaire les influences biologiques précoces ou de modifier le génome de l’individu, il reste possible, dans une certaine mesure de faire changer l’individu via des modifications de son environnement. Des interventions psychosociales ou comportementales sont utilisées quotidiennement et avec succès pour compenser ou au moins atténuer les effets de prédispositions biologiques, notamment dans le domaine des troubles cognitifs et mentaux. Dans un autre registre, les lois et tout le système judiciaire sont un autre moyen de modifier les comportements dans la direction désirée par la société.

En résumé, la biologie n’est pas plus déterministe que l’environnement culturel. Il n’y a pas lieu de nier les influences biologiques précoces, ni de croire que leurs effets seraient immuables (voir Ramus, 2011, 2014, pour une discussion plus approfondie).

La méthode Coué est-elle préférable à la connaissance scientifique objective ?

Comme nous l’avons vu, le discours négationniste et socioconstructiviste à l’égard des différences cognitives entre les sexes s’appuie sur le paralogisme moraliste. Ce paralogisme s’exerce à l’instar de la méthode Coué : répétons chaque jour qu’il n’y a pas de différences entre hommes et femmes, cela finira bien par être vrai. On pourrait simplement se gausser de raisonnements aussi ridicules, en se disant que ces controverses n’ont que peu d’importance. Mais ont-elles vraiment si peu d’importance ?

Admettons que les différentes parties du débat partagent une même cause (ce qui est certainement largement le cas) : mettre fin aux discriminations sexistes et à tous les désavantages injustes qui affectent les femmes. Cette cause est-elle vraiment mieux servie par la posture négationniste et socioconstructiviste ? Je pense au contraire que cette posture présente plus d’inconvénients que d’avantages, par rapport à une position séparant par principe les états de fait (déterminer les éventuelles différences le plus objectivement possible) et les jugements de valeur (l’égalité en droits entre les sexes).

En effet, on peut être tenté d’étouffer la vérité au nom d’une bonne cause, mais celle-ci finit toujours par ressurgir tôt ou tard, et dans la mesure où la cause s’appuyait sur ce « pieux mensonge », elle risque de se retrouver sans les fondements qu’on lui prêtait, et au passage fort décrédibilisée (Gauvrit & Ramus, 2014a). De plus, on peut s’interroger sur une stratégie consistant, face à un problème de société bien réel, à promouvoir une vision déformée de la réalité. Cette dernière est-elle susceptible de révéler les meilleures réponses possibles au problème ? N’est-on pas plutôt en droit de penser que c’est uniquement sur la base de la connaissance scientifique la plus objective et la plus rigoureuse possible des différences entre les sexes, de leurs causes, des discriminations sexistes, et de leurs causes, que l’on sera le mieux à même de prendre la mesure du problème et d’y trouver des solutions ?

Pour reprendre notre exemple précédent, la vision socioconstructiviste du viol, dans la mesure où elle conçoit la « culture du viol » comme cause unique du viol, prédit qu’éradiquer cette culture, en fournissant par exemple aux garçons et aux filles (dont les prédispositions sont supposées identiques) une éducation, des modèles et des incitations strictement identiques, suffirait à éliminer le viol. Mais une compréhension du viol plus ancrée dans la biologie évolutionniste prédit que de telles mesures seraient insuffisantes (Thornhill & Palmer, 2002). En effet, dans la mesure où les garçons et les filles ont des prédispositions différentes (en particulier en ce qui concerne la sexualité et la violence), les élever de la même manière risque de ne rien faire pour empêcher ces prédispositions de conduire à des comportements différents. Pour véritablement éradiquer le viol, il serait nécessaire de contrer activement les prédispositions des hommes, et sans doute aussi de mieux informer les femmes sur les facteurs favorisant le viol. Cela inclut, bien sûr, l’élimination de tout ce qui pourrait s’apparenter à une culture du viol (les deux visions concordent bien sur cet objectif). Mais cela nécessiterait sans doute d’aller plus loin, en fournissant aux hommes et aux femmes une éducation spécifique à ce sujet et en partie différenciée.

Par exemple, éduquer les hommes 1) à mieux connaître leurs désirs sexuels, les conditions qui les déclenchent, les conséquences possibles, et les moyens de les gérer efficacement ; 2) à mieux connaître les biais cognitifs qui peuvent les conduire à mal interpréter les signaux des femmes ; et 3) les instruire de manière très explicite sur le fait qu’aucune pulsion sexuelle ne peut justifier de passer outre un consentement (d’un point de vue moral comme pénal), est plus susceptible de diminuer les viols que la négation de leurs désirs sexuels et le maintien dans l’ignorance. Symétriquement, éduquer les femmes d’une part sur les désirs sexuels des hommes et les conditions qui les déclenchent, d’autre part sur les signaux qu’elles émettent (volontairement ou pas) et la manière dont ils peuvent être interprétés (à tort ou à raison) par les hommes, est plus susceptible de diminuer les viols que de leur enseigner que le viol n’a rien à voir avec un acte sexuel et est uniquement un acte de domination de l’homme sur la femme (pour une discussion plus complète, voir Thornhill & Palmer, 2002, chapitre 9, et 2000)[v][vi].

On voit donc que différentes théories des causes du viol ont potentiellement des implications différentes, en ce qu’elles suggèrent des politiques d’éducation et de prévention différentes, qui peuvent ou pas conduire à diminuer l’incidence des viols. Il importe donc d’avoir la bonne théorie, celle qui est la mieux soutenue par les faits. C’est un cas de figure exemplaire où avoir une compréhension scientifique correcte d’un phénomène est indispensable pour concevoir des politiques efficaces. Les positions qui déforment délibérément la connaissance scientifique d’un phénomène pour une bonne cause risquent en fait fort de desservir objectivement la cause qu’elles prétendent servir.

Conclusion

Dans cet article, j’ai détaillé la plupart des biais de raisonnement et arguments fallacieux qui polluent le débat sur les différences cognitives et cérébrales entre les sexes, utilisés à la fois par les partisans et par les opposants à de telles différences. L’espoir est qu’une meilleure connaissance de ces écueils puisse conduire à un débat plus serein et plus rationnel, qui présenterait les caractéristiques suivantes :

  • Séparer strictement les questions de fait et les jugements de valeur.
  • Concernant les questions de fait, ne préjuger d’aucune réponse, quelles que soient les implications morales ou sociétales supposées. S’en remettre simplement à la méthode scientifique. Juger les résultats des études selon des critères scientifiques, et pas en fonction d’intentions ou d’affiliations présumées des auteurs.
  • Les personnes et les médias qui rendent compte des faits doivent s’efforcer de le faire le plus fidèlement possible, en s’efforçant de déjouer les nombreux écueils décrits, en particulier l’exagération et le négationnisme.
  • Chacun est libre de ses jugements de valeur. Les états de fait peuvent rendre la réalisation de ces valeurs plus ou moins difficile, mais en aucun cas ne les déterminent. C’est aux citoyens de débattre de leurs valeurs communes et au législateur de voter des lois qui permettent la mise en œuvre de ces valeurs.
  • Lorsque se posent des problèmes de société qui affectent la réalisation des valeurs communes (telles que les discriminations sexistes ou les violences contre les femmes), il importe de ne pas préjuger de la solution à ces problèmes sur la base d’une compréhension incomplète ou erronée. Les recherches scientifiques rigoureuses sont le meilleur moyen pour comprendre la nature du problème et ses implications, et pour anticiper et évaluer les effets des différentes solutions envisagées.

Une meilleure compréhension scientifique des différences cognitives entre les sexes et de leurs origines devrait permettre, si c’est l’objectif que l’on se fixe, de les réduire (par exemple par l’éducation) lorsqu’elles sont jugées néfastes, ainsi que de les compenser ou d’en anticiper et d’en atténuer les conséquences avec une plus grande efficacité. Par ailleurs, une meilleure compréhension scientifique des biais cognitifs qui jouent en défaveur des femmes est le meilleur moyen de lutter efficacement contre les discriminations sexistes. On pourra pour cela s’appuyer sur les travaux de Virginia Valian (1999a, 1999b, 2005), qui sont encore insuffisamment connus en France.

Références

Becker, J. B., Berkley, K. J., Geary, N., Hampson, E., Herman, J. P., & Young, E. A. (2008). Sex differences in the brain: From genes to behavior. Oxford: Oxford University Press.

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[i] Je mets cette phrase au conditionnel car, quand bien même il existe des données suggérant que c’est le cas, on ne peut pas à l’heure actuelle affirmer que l’origine biologique précoce de ces différences cognitives entre les sexes soit prouvée au-delà de tout soupçon.
[ii] Parmi les applications récentes du paralogisme naturaliste, on peut encore citer les arguments des opposants au mariage homosexuel, qui sont de la forme : « dans la nature, la plupart des enfants grandissent avec un papa et une maman [en faisant abstraction des données anthropologiques allant à l’encontre de cette affirmation], donc grandir avec un papa et une maman est le meilleur environnement possible pour un enfant et le seul acceptable ».
[iii] Ce paralogisme moraliste est à l’œuvre dans bien d’autres débats, notamment tous ceux qui concernent des facteurs génétiques à l’origine de différences individuelles chez l’humain (Ramus, 2007).

[iv] Je ne m’intéresse ici qu’aux cas de viols de femmes par des hommes, de loin les plus fréquents. Voir par exemple cette étude de l’INED.

[v] On peut aussi lire une recension du livre de Thornhill & Palmer par Peggy Sastre.

[vi] J’anticipe d’ores et déjà que certains commentateurs me feront le procès d’intention suivant: « En suggérant que les femmes émettent des signaux qui déclenchent le désir des hommes et qui peuvent in fine aboutir à une agression sexuelle, vous voulez les inciter à se couvrir le corps, à adopter un comportement prude, et vous voulez leur signifier que lorsqu’elles sont victimes d’agressions sexuelles, c’est parce qu’elles l’ont bien mérité par leurs provocations ». Je tiens donc à préciser que non, ce n’est pas ce que je dis. Mais oui, il y a bien un lien entre les signaux sexuels émis par les femmes, le désir sexuel des hommes, et la probabilité d’une agression sexuelle, et il serait irresponsable de le nier et de ne pas vouloir en tenir compte.

Explicitons par une analogie: chacun sait (et la plupart des parents l’expliquent à leurs enfants) que porter ostensiblement sur soi des vêtements ou objets très coûteux peut provoquer chez d’autres la convoitise, et augmenter de ce fait la probabilité d’être victime d’un vol, d’une agression, ou simplement de commentaires sur ce que l’on porte. Et ce plus dans certains lieux et contextes que d’autres. Dire cela, ce n’est pas dicter aux gens ce qu’ils doivent porter ou pas, ni restreindre leur liberté de manière intolérable. Ce n’est pas non plus justifier les vols et les agressions ni diminuer la responsabilité de leurs auteurs. C’est simplement une mise en garde sur des risques réels, qui permet aux gens de décider ce qu’ils portent, comment ils se comportent, dans quel contexte, en étant conscients des risques éventuels qu’ils courent.

De la même manière, faire prendre conscience aux femmes que leur corps suscite le désir des hommes (y compris de tous ceux qui ne les intéressent pas), et ce d’autant plus qu’il est exposé, ce n’est pas restreindre leur liberté ou leur dicter une norme vestimentaire ou comportementale. Ce n’est pas non plus justifier les agressions sexuelles et diminuer la responsabilité de leurs auteurs (qui resterait entière, quand bien même la nudité publique serait autorisée). C’est simplement permettre aux femmes de faire usage de leur liberté en pleine conscience des risques potentiellement associés. La revendication de vouloir se sentir sexy et attirante et de s’habiller comme on veut est parfaitement légitime. Mais dans un monde où le désir sexuel masculin est ce qu’il est, et où les agressions sexuelles ne vont pas disparaître du jour au lendemain, en informer les femmes, c’est leur permettre d’ajuster leurs tenues, leurs comportements, en fonction des circonstances, des lieux et des personnes, pour préserver au mieux leur sécurité. Ne pas vouloir en informer les femmes, c’est au contraire leur faire courir de grands dangers.