Régulièrement sur les forums de discussion ma démarche critique et mes compétences à parler de psychanalyse sont mis en cause. Typiquement, on s’interroge: de quel droit ce chercheur, qui n’est ni psychanalyste, ni même clinicien d’aucune forme que ce soit, se permet-il de critiquer, de prôner des formes d’évaluation qui sont peut-être valables dans son domaine, mais qui sont totalement inadaptées à la psychanalyse? De quel droit parle-t-il de pratiques cliniques alors qu’il est lui-même incapable  de s’occuper d’un patient?

Pour mieux apprécier toute l’inanité d’une telle question, je propose de la reformuler en remplaçant le mot psychanalyse par scientologie, ou le nom de votre secte préférée. Peut-on raisonnablement défendre l’idée que seuls les adeptes d’une secte sont fondés à porter un regard critique sur elle? N’avoir de comptes à rendre à personne, voilà pourtant bien ce que revendiquent la plupart des psychanalystes. Ce que Lacan formulait ainsi: « l’analyste ne s’autorise que de lui-même ». Cette position n’est évidemment pas tenable, ni du point de vue des patients, ni de celui de la société dans son ensemble.

En ce qui me concerne, effectivement, la pratique de la psychothérapie n’est ni mon métier, ni ma vocation, et je serais bien en peine de soigner qui que ce soit. C’est pour cette raison que je m’abstiens de donner des conseils sur des pratiques thérapeutiques concrètes. Et en vérité, en matière thérapeutique, je suis d’un agnosticisme total. Je n’ai aucune croyance particulière, et absolument aucun intérêt personnel à promouvoir tel type de thérapie ou tel médicament. La seule chose que je promeus est la démarche scientifique.

Car bien que la psychanalyse se défende d’être une science, elle affiche néanmoins des prétentions scientifiques. En effet, elle prétend fournir des explications de certaines causes de certains troubles mentaux. Ce faisant, qu’elle le veuille ou non, et qu’elle le reconnaisse ou non, elle est sur le terrain de la science. Il est par conséquent tout à fait normal que les scientifiques qui ont des compétences sur les causes de certains troubles mentaux puissent examiner et évaluer les théories psychanalytiques à la lueur des données empiriques, et s’il y a lieu les critiquer.

En second lieu, la psychanalyse a des prétentions à soigner des personnes affectées de troubles mentaux. Par conséquent, et même si elle s’en défend, elle est là sur le terrain de la médecine. Et donc sur le terrain de la science, puisque la médecine est désormais assise sur les connaissances et les méthodes scientifiques. De ce point de vue, il est légitime et souhaitable que des médecins et des scientifiques questionnent la validité et l’efficacité de tout traitement proposé pour des troubles mentaux, quels qu’ils soient, et quand bien même leurs auteurs se défendent de faire de la médecine. Cet examen est facilité par le fait que les méthodologies d’évaluation de l’efficacité des traitements ne dépendent pas de la nature des traitements eux-mêmes, comme je l’ai expliqué dans les deux précédents articles consacrés à ce sujet. Les études d’évaluation des traitements sont publiées dans des revues scientifiques et médicales internationales, et j’ai toutes les compétences requises pour lire et analyser ces études. Je suis donc parfaitement dans mon rôle en en diffusant les résultats auprès du public, et ce d’autant plus que toutes ces études ont jusqu’à présent été très peu diffusées en France.

Enfin, du point de vue du simple citoyen, il paraît légitime d’exiger d’être informé de l’efficacité respective des différents types de traitements, et d’exiger que l’argent public soit dépensé dans les formes de traitement les plus efficaces (qu’il s’agisse de soins dispensés à l’hôpital, de subventionnement d’instituts médico-sociaux, ou du remboursement par l’assurance-maladie des actes de psychiatrie). Tout ceci suppose des évaluations rigoureuses de toutes les formes de traitement, y compris les psychothérapies, y compris celles d’inspiration analytique, et des débats libres et ouverts sur les résultats de ces évaluations, notamment par des personnes qui ne sont pas à la fois juges et parties. Là encore, des chercheurs et médecins compétents en psychologie et en psychiatrie mais indépendants de la psychanalyse ont un rôle important à jouer.

Pour résumer, malgré toutes leurs rodomontades et dénégations, les psychanalystes ont bel et bien des comptes à rendre, à leurs patients et à l’ensemble de la société. Il est hors de question qu’ils s’y soustraient plus longtemps. De plus les évaluations et débats que cela suppose doivent nécessairement impliquer des personnes extérieures à la psychanalyse pour avoir la moindre crédibilité.